En résumé
Le colloque se propose de comprendre la manière dont la CGT a traversé une période particulièrement difficile pour une organisation tenue jusque-là pour la confédération de référence du syndicalisme hexagonal. Qu’il s’agisse des termes, objets et modalités des débats internes, des orientations successivement adoptées, de leurs traductions organisationnelles, tactiques et stratégiques, de leurs échos au sein du salariat et dans la société française, la période retenue apparaît décisive en termes d’épreuves et d’expériences syndicales. A ce titre, elle éclaire la situation du syndicalisme actuel, concourt au repérage de ses faiblesses, lignes de forces et de fractures, à l’évaluation des bouleversements subis et choisis, à la compréhension de ses perspectives et ambitions.
Présentation du colloque
De 1975 à 1995, le vieux monde a repris la main. En vingt ans, les syndicalistes ont vu s’effondrer des garanties, des points d’appui et des horizons d’attente qui entretenaient leurs certitudes, confortaient des valeurs, des symboles et des imaginaires porteurs d’identité, de cohésion. Quel cégétiste des années 1970 aurait cru pensable qu’en moins d’une génération le nombre des journées de grèves et celui des effectifs de syndiqués chuteraient à leur niveau d’avant la Première Guerre mondiale, qu’il battrait le pavé avec les militants de FO, que l’usine Renault de Billancourt serait rasée, que l’URSS et ses alliés disparaitraient sans guerre, tandis que l’intégration européenne s’accélèrerait (marché unique, SME, etc.), que l’extrême-droite dépasserait le PCF dans les urnes… ? De fait, au tournant du siècle, les mots, les pratiques, les grilles de lecture et les références d’hier semblent inaudibles ou obsolètes, inaptes à enregistrer l’accélération de l’histoire. Entre raidissement et accompagnement, la variété des positions adoptées et leur fluidité invalident toute typologie réductrice. A l’usage, l’antagonisme commode « conservateurs » / « modernistes » s’avère rudimentaire et prédispose à négliger les dynamiques. Bon gré mal gré, les changements obligent tous les militants à réviser leurs analyses et leurs pratiques. Plus subie que choisie, la mutation, d’ampleur variable selon les lieux, les circonstances ou les fonctions occupées, apparaît d’autant plus profonde qu’elle intervient au lendemain d’un apogée syndical riche en acquis et en mobilisations, puiscoïncide, un temps, avec le retour au pouvoir d’une gauche dont l’audace réformatrice s’interrompt avant même sa défaite électorale.
A des degrés divers, ces remises en cause affectent tout le mouvement syndical confronté à une inversion du rapport des forces sociales à la faveur de l’installation dans un chômage de masse, de la désindustrialisation et sous l’effet combiné de contre-offensives patronales et de politiques néo-libérales déstabilisatrices des compromis antérieurs. Déjà ébranlées dans les années 1968, les stratégies et configurations politico-syndicales, peu ou prou inspirées des précédents victorieux du Front populaire et de la Libération, entrent elles-mêmes en crise à la suite de la rupture du Programme commun. Aussi bien la CFDT et la CGT se soucient -elles dès lors, l’une et l’autre, indépendamment des références convoquées et des conclusions tirées, de la nécessité de résultats, de la réduction de la distorsion entre leurs implantations respectives et la composition du salariat contemporain, de l’intervention dans la gestion, de dissocier leurs réflexions et démarches d’échéances électorales et de considérations partisanes.
Il s’agit cette fois d’étudier la CGT. A cette fin, il importe de considérer l’ensemble des niveaux et structures pertinents d’analyses croisées et différenciées – syndicats d’entreprises, unions locales, départementales et régionales, fédérations, unions (UGICT, UCR, etc.). Objet d’un précédent colloque, le niveau international ne sera pas pris en compte, à l’inverse de l’Europe dont la construction et les politiques pèsent sur les débats et les orientations de la centrale. De la même manière, il convient de varier les cadres temporels d’observation afin de les accorder aux thématiques et acteurs concernés. Ainsi s’efforcera-t-on d’inscrire dans la moyenne durée propre à les saisir les évolutions des audiences, des effectifs, des relations avec le patronat, les pouvoirs publics, les autres syndicats, les nouveaux mouvements sociaux, les forces politiques. Sur ce dernier point, on accordera une attention particulière à la prise de distance croissante vis-à-vis du PCF. On s’attachera tout autant à cerner les temps forts, les charnières et césures majeures, à l’exemple des séquences plus denses de 1978-1983 (rupture du programme commun et de l’unité d’action avec la CFDT, suites du congrès de Grenoble, « regauchage » et crise de direction, élection de Mitterrand et gouvernement Mauroy avec ministres communistes, réformes économiques et sociales, nouveaux cadres et modalités des négociations collectives, tournant de la rigueur), 1985-1989 (tensions de sommet, retour de la droite au pouvoir et cohabitation, nouvelles conflictualités et concurrence des coordinations, chute du mur de Berlin) ou 1992-1995 (affirmation de l’autonomie de la CGT, stratégie de « syndicalisme rassemblé », grèves et manifestations contre le plan Juppé).
Les axes principaux du colloque
Sur ces bases, plusieurs axes thématiques se dégagent :
Identités
- Perception et prise en compte des crises, des évolutions de la société, du salariat et du travail (organisation, conditions, etc.), de la désindustrialisation, des politiques patronales et publiques ;
- Grilles de lecture et modes d’expression : références idéologiques, valeurs, symboles, cultures et sensibilités ;
Mobilisations
- Stratégies : adversaires, alliés et concurrents, relations avec les forces politiques PCF, syndicalisme de proposition et/ou de transformation sociale, répertoires d’actions et institutionnalisation, prise en compte du cadre européen ;
- Nouveaux terrains d’intervention : politiques industrielles et régionales, gestion, démocratie dans l’entreprise, déserts syndicaux, chômeurs, « cadre de vie »… ;
Ressources
- Militants et militantismes : audiences, effectifs, sociologie et trajectoires, politique des cadres et formation ;
- Structures et vie interne : interactions, finances, siège, secteurs confédéraux, lieux et modalités du débat, processus de décision et de mise en œuvre.
L’ouverture de nouveaux fonds, syndicaux ou publics, la disponibilité de nombreux acteurs rendent possible un retour serein sur la CGT des années 1970-1990 de nature à satisfaire les exigences de la recherche et à enrichir l’historiographie des mouvements sociaux et des syndicalismes de la période, ambitions compatibles avec le besoin d’histoire et les préoccupations des militants d’aujourd’hui. Dans cette perspective, qui est aussi celle de la plus large ouverture disciplinaire aux travaux des historiens, politistes et sociologues, l’Institut CGT d’histoire sociale s’est associé à trois laboratoires : le Centre d’histoire sociale du XXe siècle (UMR 8058), Printemps. Professions, Institutions, Temporalités (UMR 8085) et Triangle. Action, discours politique et économique (UMR 5206).
Organisation du colloque
Dans le cadre de la préparation du colloque, le conseil scientifique du colloque envisage l’organisation de deux demi-journées de travaux dont voici le programme :
– Conceptions de la CGT en matière de politique industrielle et de services publics (Intervenants : G. Alezard/F. Duteil – Discutant : M. Margairaz)
– Intervention dans les entreprises et forces militantes (baisse des effectifs, recul de l’audience) (Intervenants : G. Gaumé/L. Brovelli.- Discutant : J.-M. Pernot)
Ces séminaires n’ont pas comme objet de traiter dans leur entièreté les sujets mais plutôt de cibler les principaux enjeux, questionnements, de donner des pistes de réflexions, qui bénéficieront notamment aux contributeurs au colloque. La présentation des syndicalistes est d’abord discutée par des scientifiques, puis avec l’ensemble des participants. Notons en effet que ces demi-journées ne seront pas ouvertes à un public large mais uniquement aux dirigeants syndicaux et aux universitaires susceptibles d’enrichir la question soulevée. Un appareil documentaire (résolutions congrès, articles du Peuple, autres travaux) sera constitué pour chaque séminaire.
Responsables du colloque
Sophie Béroud (UMR Triangle),
Élyane Bressol (IHS CGT),
Jérôme Pelisse (UMR Printemps),
Michel Pigenet (CHS du XXe siècle)
Comité scientifique et d’organisation du colloque
Jérôme Beauvisage (IHS CGT)
Sophie Béroud (politologue, Triangle, Lyon 2)
Anne Bory (sociologue, Clersé, Lille 1)
Élyane Bressol (IHS CGT)
Anne-Sophie Bruno (historienne, CRESC, Paris 13)
David Chaurand (IHS CGT)
Michel Dreyfus (historien, CHS)
Baptiste Giraud (politologue, LEST, Aix-Marseille)
René Mouriaux (politologue)
André Narritsens (IHS CGT)
Isabel Odoul-Asorey (juriste, Paris 10)
Thomas Pasquier (juriste, CRJFC, Besançon)
Jérôme Pelisse (sociologue, Printemps, Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
Jean-Marie Pernot (politologue, IRES)
Michel Pigenet (historien, CHS, Paris 1)
Yasmine Siblot (sociologue, CRESPPA, Paris 8)
Stéphane Sirot (historien, Cergy-Pontoise)
Xavier Vigna (historien, Centre Georges Chevrier, Dijon)
Laurent Willemez (sociologue, Printemps, Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
Cyril Wolmark (juriste, IEJ, Paris 10)
Le programme du colloque
Publication du colloque
Le colloque a fait l’objet d’une publication disponible à l’IHS CGT
Sophie Béroud, Elyane Bressol, Jérôme Pélisse, Michel Pigenet, La CGT (1975-1995). Un syndicalisme à l’épreuve des crises, éditions de l’Arbre bleu, Nancy, 2019.