En résumé
L’Institut CGT d’histoire sociale (IHS CGT) et le laboratoire Triangle de l’université Lyon 2 ont décidé de la tenue d’un colloque portant sur le thème de l’institutionnalisation du syndicalisme au cours de la période 1945-2007. Il s’agit d’explorer, en croisant le regard à la fois des chercheurs et des syndicalistes, la complexité et l’ambivalence de ce processus.
Présentation du colloque
Texte de l’appel à communication
Grille d’interprétation des difficultés du syndicalisme proposée dans de nombreux travaux scientifiques, la question de son « institutionnalisation » fait débat au sein même du mouvement syndical : des militants s’interrogent sur la finalité de leur présence dans certaines instances de représentation et de négociation. Ne conviendrait-il pas plutôt de préserver davantage le temps de délégation pour effectuer un travail de terrain auprès des salariés ? D’autres militants, à partir de leur expérience d’élus et de mandatés, mettent plutôt en avant les points d’appui que fournit la reconnaissance du syndicalisme dans ces différents espaces, sans que leur vision ne soit d’ailleurs nécessairement contradictoire avec celle énoncée précédemment.
Conscient de l’actualité du problème, l’IHS CGT et le laboratoire Triangle de l’Université Lyon 2 ont décidé d’en faire le thème d’un colloque centré sur la deuxième moitié du XXe siècle. Il s’agit d’explorer la complexité et l’ambivalence de ce processus. Le terme d’institutionnalisation provient sur le plan étymologique d’instituare, « établir de façon durable », « fonder ». Dans certaines périodes de l’histoire sociale, l’institutionnalisation a été synonyme de reconnaissance du fait syndical et a entériné la conquête de droits. Dans d’autres périodes, comme celle que nous connaissons, elle peut aussi être le support d’un enfermement croissant du syndicalisme dans des pratiques de négociation au contenu extrêmement limitée et contribuer à marginaliser d’autres formes d’action syndicale, plus revendicatives. Ainsi, l’institutionnalisation peut-elle aussi être comprise comme une forme d’intégration dans l’ordre dominant, d’acceptation de celui-ci. Mais le fait de refuser toute participation aux institutions de représentation créées sur le lieu de travail ou en dehors de celui-ci, dans le cadre notamment du paritarisme, risque à l’inverse de conduire à une marginalisation de l’organisation syndicale.. Dans tous les cas, l’institutionnalisation est à comprendre comme un phénomène mouvant et relationnel, ni linéaire ni univoque : s’il donne lieu à des usages variés selon les syndicats, il est également investi par les employeurs ; en ce sens, les conceptions et les usages des espaces institutionnels – qui ouvrent la question de la démocratie dans la sphère du travail – sont aussi à appréhender comme des terrains de lutte.
La problématique n’a rien de nouveau : le mouvement syndical s’est toujours appuyé de façon conjointe sur des pratiques de mobilisation et sur des formes plus instituées. Il s’est même constitué au cœur de cette tension. Le développement des conseils des prud’hommes à partir de 1806 a précédé l’apparition des syndicats. Dans la même optique, ce qui s’est joué autour de la reconnaissance officielle de la forme syndicale en 1884 avec l’assignation par le politique au seul domaine professionnel, puis avec l’instauration d’un double canal de représentation des salariés (celui de l’élection via la généralisation des délégués du personnel à partir de 1936, celui de la représentation directe par le syndicat censé agir pour tous, mais exclu du lieu de travail jusqu’en 1968) a profondément marqué les relations professionnelles en France.
Sans s’interdire un retour sur ces étapes marquantes, ce colloque abordera principalement la période qui s’étend de 1945 à 2007 ; cette deuxième borne temporelle étant liée à l’adoption de la loi dite de « modernisation du dialogue social » qui, sous l’impulsion du droit européen, contraint le gouvernement à consulter les « partenaires sociaux » afin que ceux-ci ouvrent une négociation avant tout projet de loi portant sur les relations de travail, leur reconnaissant ainsi une part d’autonomie dans l’élaboration des normes sociales. Au travers de cette loi, on voit à quel point le choix des termes engage des conceptions différentes du sens et de la visée de l’institutionnalisation.
La complexité du phénomène suggère de revenir de façon précise sur certains contextes, de restituer les controverses qui ont pu entourer l’investissement des syndicats dans telle ou telle institution, au sein de l’entreprise ou en dehors, d’examiner de façon critique la terminologie employée et les pratiques à l’œuvre. Elle implique également de faire varier les échelles d’observation, de comprendre les enjeux sur les lieux de travail, mais aussi dans les secteurs d’activités (et les branches) ainsi qu’au niveau national et interprofessionnel.
Il serait souhaitable que les propositions de communications éclairent des moments qui paraissent particulièrement significatifs sur ce sujet, que ces contextes historiques soient associés à la conquête de droits nouveaux, en raison d’un rapport de force favorable au mouvement ouvrier ou qu’ils se caractérisent au contraire par une tendance au repli. Il serait également intéressant que les communications abordent les conceptions et les pratiques de différentes confédérations ou unions syndicales et aident ainsi à saisir la production de lignes de clivage entre organisations selon les périodes.
– 1945-1947 avec la reconnaissance légale des comités d’entreprise, la réorganisation des organismes liés à la protection sociale, l’adoption du statut général de la fonction publique, l’association des syndicats à nombre d’instances et d’institutions crées ou développées à l’époque.
– les années 1950 à l’heure de la guerre froide et de la partition du champ syndical entre, d’un côté, un syndicalisme réformiste tirant une partie de sa légitimité de son intégration à des institutions (comme le Commissariat au Plan par exemple, mais également toutes les institutions paritaires) et, de l’autre, la marginalisation d’un syndicalisme de classes.
– le « moment 1968 » avec les effets de la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise et des délégués syndicaux, mais aussi les critiques portées dans le cadre de luttes sociales sur l’institutionnalisation des syndicats et sur le paritarisme (et la valorisation de contre-modèles). Cette séquence pourra également donner l’occasion d’éclairer la façon dont le patronat va repenser les modalités de l’institutionnalisation, liées à de nouvelles pratiques managériales, dans sa réaction à Mai 1968.
– le début du premier septennat de François Mitterrand avec les lois Auroux, mais aussi la révision et l’élargissement du statut général de la fonction publique ainsi que la politique de nationalisations.
– la montée en puissance d’un discours sur le dialogue social dès le milieu des années 1980, associée à une forte décentralisation, au niveau de l’entreprise, de la négociation collective.
Cette entrée par des contextes historiques pourra être combinée à un certain nombre d’axes thématiques :
Acteurs et les lieux de l’institutionnalisation (entreprise, branches, national) : Que nous apprennent certaines spécificités liées à des professions ou des entreprises ?
– Conceptions et références : En quoi les discours et les pratiques des différentes organisations éclairent-elles la nature et la longévité des clivages selon les périodes ? Quels sont les apports des réflexions qui visent à rejeter toute forme d’institutionnalisation (conseils ouvriers, autogestion, coordinations…) ?
– Modalités et pratiques sociales : Comment les activités déployées dans différentes institutions pèsent-elles sur les pratiques militantes ? La tendance à la spécialisation et la professionnalisation, induites par le travail demandé dans ces institutions (CESE, CESER, etc.) est-elle nécessairement synonyme de dépolitisation ? Quels effets ces activités spécifiques ont-elles sur les profils des militants (par rapport aux compétences attendues et valorisées) ?
– Niveaux de pouvoir : En quoi les différentes échelles de gouvernement et de pouvoir (régions, établissements, groupes, Union européenne) sont-elles porteuses de formes différentes d’institutionnalisation ? Comment s’articulent les conceptions portées par les pouvoirs publics et celles défendues par les acteurs économiques ?
Le colloque s’achèvera par une table-ronde consacrée à l’analyse de la période contemporaine (à partir de la réforme de 2008-2010 sur la représentativité syndicale).
Par sa thématique, ce colloque se situe aux frontières de plusieurs disciplines (histoire, sociologie, science politique, etc.) entre lesquelles il entend susciter des rencontres et des échanges.
Conseil scientifique et d’organisation
Sophie Béroud (Université Lyon 2),
Jérôme Beauvisage (IHS CGT),
Elyane Bressol (IHS CGT),
David Chaurand (IHS CGT),
Jean-Pierre Le Crom (Université de Nantes),
Michel Margairaz (Université Paris 1),
René Mouriaux (Docteur d’Etat en science politique),
André Narritsens (IHS CGT),
Michel Pigenet (Université Paris 1),
Stéphane Sirot (Université Cergy-Pontoise).
Le programme du colloque
Jeudi 16 novembre 2017
10h10-12h15 : Séance introductive – L’institutionnalisation, une notion à définir : perspectives historiques et sociologiques
Présidence : Gilbert Garrel, président de l’IHS CGT
- Stéphane Sirot (historien, Université de Cergy-Pontoise), « Aux origines de l’institutionnalisation du syndicalisme (1884-1946) »
- Sophie Béroud (politiste, Université de Lyon 2, Triangle) : « De quoi parle-t-on ? Ce que recouvre la notion d’institutionnalisation »
- Udo Rehfeldt (politiste, IRES), « Institutionnalisation du syndicalisme : une comparaison européenne »
- Maryse Dumas (syndicaliste, ancienne secrétaire confédérale de la CGT) – « La définition d’une démarche syndicale offensive pour combattre le double écueil de la marginalisation et de l’intégration (1997-2007) »
14h -15h45 : Deuxième séance – Des outils pour la conquête de droits ?
Présidence : Jean-Pierre Le Crom, historien du droit, CNRS
- Gérard Alezard (syndicaliste, ancien secrétaire confédéral de la CGT), « CGT, experts et gouvernants face aux questions économiques dans la première moitié des années 1980 »
- Alain Dalançon (historien, IRHSES), « Le paritarisme dans la fonction publique. L’exemple des commissions administratives paritaires dans le second degré de l’Education Nationale de la Libération à la fin du XXe »
- Cécile Guillaume (sociologue, Université Lille 1), Vincent-Arnaud Chappe (sociologue, CNRS), Jean-Michel Denis (sociologue, Latts), « De la liberté de négocier à la reconnaissance d’un droit à la négociation. Retour sur les mobilisations juridiques de la CFDT (1968-1982) »
- Clair Juilliet (historien, Framespa), « Une institutionnalisation des pratiques de régulation sociale. L’exemple de la SNIS de Toulouse (1970-1986) »
- Thérèse Poupon (syndicaliste, secrétaire confédérale CGT de 1982 à 1989), « Institutionnalisation et Sécurité sociale dans les années 1980 »
- Philippe Coanet (syndicaliste, IHS Services publics), « Fédération CGT des services publics et institutionnalisation : les grands débats internes »
16h15 – 17h30 : Troisième séance – Jeux d’échelles, lieux et niveaux de pouvoir
Présidence : Roger Gay, président de l’IRHS Rhône-Alpes
- Jean-Noël Dutheil (syndicaliste, IHS CGT du Bourbonnais) « Les comités de gestion montluçonnais, un exemple d’institutionnalisation de conquête »
- Claude Roccati (historienne, Université du Havre) « L’institutionnalisation de la CFDT au révélateur du TUAC (Commission syndicale consultative de l’OCDE) »
- Bernard Thibault (syndicaliste, ancien secrétaire général de la CGT), « « L’OIT depuis 1945 : ambitions et limites de l’institution mondiale du travail »
- Antoine Vernet (historien, Université Lyon 2), « Une approche locale du paritarisme : les syndicats et la formation des travailleurs (Loire, 1945-1972) »
Vendredi 17 novembre 2017
9h-10h30 : Quatrième séance (1/2) – Les usages syndicaux des institutions : Formes d’intégration et d’exclusion
Présidence : Sophie Béroud, politiste, Triangle
- Jérôme Beauvisage (syndicaliste, IHS CGT), « La CGT mise à l’écart dans les années 1950 : l’exemple confédéral »
- Josiane Dragoni (syndicaliste, IR FSU), « La FSU face aux instances de représentation, de sa création aux difficultés et spécificités du paritarisme au sein de la fonction publique (1993-2008)
- François Duteil (syndicaliste, IHS Mines-Energie), « La CGT mise à l’écart. L’exemple du secteur de l’énergie dans les années 1950-1960 »
- Pierre Delanoue, Thierry Roy, (syndicalistes, IHS CGT Cheminots), « La CGT au sein du Conseil d’administration de la SNCF (1983-2007) »
- Michel Pigenet (historien, CHS XXe siècle), « Force ouvrière et l’intégration. Variations autour d’un refus »
- Serge Proust (sociologue, Université de Saint-Etienne, CMW), « La fédération du spectacle et les institutions sociales caractéristiques de l’Etat-Providence dans le champ du social »
10h45 -12h30 : Quatrième séance (2/2) – Les usages syndicaux des institutions : Pratiques et trajectoires
Présidence : Caroline Frau, politologue, Triangle
- Patrick Bourgeois (syndicaliste, IHS CGT FAPT), « La participation CGT aux réunions institutionnelles préparant le budget des PTT au cours des Trente Glorieuses : l’exemple du Conseil supérieur des PTT »
- Jean-Michel Gaveau (syndicaliste, groupe de travail CGT des administrateurs salariés), « Les administrateurs salariés à la CGT, un long cheminement syndical et politique, un espace spécifique à conquérir dans l’organe de décision de l’entreprise »
- Nicolas Simonpoli (politiste, Université Paris 10) « Des permanents cégétistes à l’épreuve de la 3e voie de l’ENA (1983-1986) »
- Zoé Haller (sociologue, Université de Rouen, Dysola), « Institutionnalisation du syndicalisme. Quel accès pour les femmes aux responsabilités syndicales ? »
- Claude Marache (syndicaliste, IHS CGT Cheminots), « La commission mixte du statut de la SNCF (1951-2007) »
- Françoise Geng (syndicaliste, membre du CES de 2001 à 2015), « La CGT dans le CES : d’une posture peu participative à une implication « objective » (années 1980-2000) »
14h-16h : Cinquième séance – Derrière la valorisation du «dialogue social », une autre logique de l’institutionnalisation ?
Présidence : Elyane Bressol, IHS CGT
- Sylvie Contrepois (sociologue, Cresspa-CSU), « La décentralisation des négociations et ses effets sur le travail syndical. Enseignements d’une enquête sociologique 1994-2000 »
- Maïlys Gantois (politiste, CESSP), « Retour sur l’institutionnalisation des règles relatives à la négociation collective par un bout de la lucarne : l’établissement des relations de confiance entre leaders CFDT et CNPF (années 1980-1990)
- Yolaine Gassier (politiste, CHERPA et LEST), « Etude des conditions d’appropriation d’un ‘dialogue social territorial’, vers une gouvernementalisation des pratiques syndicales ?
- Jérôme Pélisse (sociologue, SciencesPo, CSO) « Les 35 heures comme accélérateurs d’une institutionnalisation ambivalente du syndicalisme d’entreprise »
- Baptiste Giraud (politiste, Université Aix-Marseille, LEST), « L’enrôlement institutionnel des conseillers confédéraux de la CGT au début des années 2000 »
- Aimé Relave (syndicaliste, administrateur honoraire de la CNAVTS), « La CGT et la mise en place des retraites complémentaires »
- Karel Yon (sociologue, CERAPS), « Faut-il désinstitutionnaliser le syndicalisme ? Défense de l’institution syndicale »
16h15-17h30 : Table-ronde organisée par la CGT : « Institutionnalisation du syndicalisme : quels enjeux aujourd’hui ? »
Les videos du colloque
Les vidéos ci-dessous sont issus d’un reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, correspondant du quotidien Le Courrier (Genève)
Publication du colloque
Les actes du colloque seront publiés au cours du second semestre 2020