
Dossier
Mieux comprendre la réforme des retraites en cours.
Analyses de chercheurs et repères chronologiques.
En résumé
Emmanuel Macron veut réformer les retraites et entend instaurer un nouveau système universel où la retraite serait calculée de la même manière quel que soit le régime. Pour mieux saisir les enjeux de cette réforme, nous vous proposons un certain nombre de documents (analyses de chercheurs, repères chronologiques, etc.) qui donneront à vos réflexions sur le sujet la perspective historique indispensable.
Sélection sur le web
Le Centre d’histoire des mondes contemporains a réalisé un documentaire en trois parties sur l’histoire des retraites. Vous trouverez ci-dessous les deux premières parties (52 mn chacune). Un documentaire riche et incontournable pour qui veut connaître cette histoire longue de trois siècles.
Il était une fois les retraites : quelques repères chronologiques
Les premiers pas
En 1900, le nombre de salariés du privé affilié à une caisse de retraite est très faible. Malgré tout, quelques systèmes organisés de retraites existent notamment dans de grandes entreprises (mines, chemin de fer, banque et assurance…) et services de l’État. Mais la fragilité financière de ces régimes et le vieillissement précoce de la population poussent l’État à l’action.
En 1905, une loi d’assistance obligatoire pour les vieillards indigents est votée par le parlement. L’idée de dépasser le cadre corporatif pour proposer à l’ensemble de la population une couverture vieillesse fait son chemin.
La loi de 1910, sur les Retraites ouvrières et paysannes (ROP) est la première tentative d’un régime obligatoire. Mais l’âge tardif de la jouissance des droits à prestations et la capitalisation cristallisent les mécontentements. La retraite pour les morts selon l’appréciation de la CGT est un échec.
L’entre-deux-guerres relance les débats sur l’ambition d’une couverture commune aux travailleurs.
La loi du 30 avril 1930 instaure un système d’assurance vieillesse obligatoire pour tous les travailleurs dont les ressources se situent en deçà d’un plafond. Inspirées du modèle bismarckien, les assurances sociales reposent sur la capitalisation. Un double écueil se pose immédiatement. Le rendement du régime est très faible et la complexité des institutions amoindrissent l’efficacité globale d’un système où cohabitent, au côté de la Caisse nationale de vieillesse, des caisses d’affinités créées par les mutuelles, les syndicats et les employeurs.
La loi du 19 mars 1941, pour sortir les caisses des difficultés financières et revaloriser le pouvoir d’achat des pensions rogné par une inflation massive, abandonne la capitalisation au profit de la répartition. Elle complète le régime des assurances sociales par une allocation aux vieux travailleurs salariés réservée aux travailleurs trop âgés pour avoir pu cotiser de manière significative aux Assurances sociales.
La sécurité pour tous
À la Libération, l’heure est à la reconstruction. Les travailleurs qui ont supporté l’essentiel de la charge de l’occupation et des combats de la Libération réclament leur dû.
Le 15 mars 1944, le Programme d’action de la Résistance pose l’exigence d’« un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
En septembre 1944, Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, confie la mise en œuvre de ce grand dessein à Pierre Laroque. L’avant-projet est combattu par le patronat, la mutualité, les Assurances sociales et la CFTC mais il reçoit le soutien de la CGT et d’Ambroise Croizat qui préside la commission du Travail et des Affaires sociales de l’Assemblée consultative. Finalement, le texte n’efface pas totalement le modèle français des assurances sociales mais l’installe dans une perspective radicalement nouvelle et beaucoup plus large.
Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 forment la charpente de cette ambition.
À la vieille idéologie de la prévoyance individuelle, on oppose désormais le principe de la solidarité. En créant une chaîne de droits et obligations entre les générations, la répartition devient la clé de voûte du nouveau système et lui garantit sa solidité financière. De la même manière, le salaire socialisé symbolise le lien étroit entre travail et retraites. La pension de retraite devient le prolongement naturel des salaires soumis à cotisation. L’âge légal de liquidation est fixé à 65 ans pour bénéficier du taux plein (40 % du salaire moyen des dix dernières années pour trente années de cotisation) et reste possible à
60 ans, le taux est alors abaissé à 20 %.
Un pacte social qui prend corps
L’ambition initiale d’une caisse unique bute sur les réalités du moment. Les régimes existants rechignent à se fondre dans un modèle encore incertain et l’hostilité des non salariés à la caisse unique parachève l’éclatement de l’assurance vieillesse. Encore aujourd’hui, celle-ci reste structurer en régimes socioprofessionnels.
Jusqu’aux années 1960, la précarité de la situation des vieux travailleurs demeure une réalité bien concrète. Quelques mesures néanmoins permettent à toute personne âgée de plus de 65 ans considérée comme économiquement faible de percevoir quelques secours. Le progrès de la couverture des salariés du privé passe aussi par le développement des régimes complémentaires.
Le 14 mars 1947, une convention collective nationale de retraites et de prévoyance est adoptée pour les cadres. Très vite, ce dispositif se généralise à tous les travailleurs et l’affiliation à un régime complémentaire devient obligatoire en 1972.
Dans les années 1970, l’important écart qui existe entre le niveau de vie des personnes âgées et celui des actifs oblige à des mesures nouvelles. Le mode de calcul des retraites est amélioré. Le taux plein de liquidation passe dorénavant de 40 à 50% à 65 ans. Le calcul de la pension s’effectue sur la base des dix meilleures années et non plus sur le salaire moyen des dix dernières années. Pour ne pas entraver les politiques familiales, des mesures sont prises qui permettent de compenser partiellement pour les mères, les pertes de droits résultant des interruptions d’activité liées aux périodes d’éducation des enfants.
Le début des années 1980 est marqué par une embellie majeure.
En 1982, l’âge de la retraite est abaissé à 60 ans. Un double critère d’âge et de durée d’assurance (60 ans et 150 trimestres) est mis en place pour l’ouverture du droit au taux plein.
En 1983, les retraites complémentaires sont consolidées, assurant aux retraités 20 % de pensions supplémentaires.
Un combat idéologique !
Depuis 1945, les projets patronaux et gouvernementaux sur les retraites n’ont pas manqué. L’objectif premier consiste à transformer le système de retraite par répartition en une épargne individuelle. L’offensive est donc d’abord idéologique. Passé au crible de l’Histoire, le discours libéral réformateur montre pourtant des limites certaines.
Les régimes « spéciaux », des retraités « privilégiés » ?
Les régimes particuliers ont longtemps représenté un point de référence obligé pour l’action revendicative. De fait, ils n’ont jamais cessé, depuis 1945, d’être l’objet d’attaques répétées.
En 1953, les décrets Laniel provoquent ainsi un conflit social marquant. Aux « privilèges » dénoncés par les médias et les pouvoirs publics de l’époque, les fonctionnaires et agents des services publics opposent, à juste titre, la modicité de leurs rémunérations, très en retard sur celles du privé.
La démographie, un argument « imparable » ?
En 1928, Alfred Sauvy, dénonce déjà le « vieillissement de la population », stigmatisant les « vieillards », jugés responsables du déclin. La démographie se constitue alors comme une « science de la peur » (Florence Vienne) que le Livre blanc de Michel Rocard réactive en 1991. Chargé d’angoisses, du fait des futurs déficits « abyssaux » qu’il induirait, le « choc démographique » concentre toutes les attentions au détriment d’autres questionnements plus pertinents, d’ordre économique, social et philosophique.
Sans capitalisation, point de salut ?
Pour pallier aux « défaillances » de la répartition, la capitalisation est souvent invoquée soit comme substitut, soit comme complément. C’est un retour à l’épargne individuelle, qui est proposé.
Pourtant, si la répartition a fait ses preuves et continue de les faire, tel n’est pas le cas de la capitalisation. Les déboires des Retraites ouvrières et paysannes (1910) et des assurances sociales (1930) rendent compte des fragilités de ce système trop dépendant de l’évolution des prix et de la valeur de la monnaie.
Des attaques incessantes
1956 : le gouvernement de Guy Mollet créé un Fonds national de solidarité, assis sur l’impôt et non pas sur la cotisation.
1967 : les ordonnances Jeanneney du 21 août organise l’association du patronat à la gestion de la Sécurité sociale aux côtés des syndicats.
1991 : le Livre blanc de Michel Rocard propose d’allonger la durée d’activité. Cette étude inspire directement les réformes des gouvernements qui suivent.
L’indexation des retraites
En 1987, par une mesure réglementaire, Jacques Chirac décide d’indexer les pensions sur les prix et non plus sur les salaires moyens. La mesure est pérennisée par Lionel Jospin en 1988 puis étendue à la fonction publique par Jean-Pierre Raffarin en 2003 et aux régimes spéciaux par François Fillon en 2008.
L’allongement de la durée de cotisation
En 1971, la loi Boulin oblige désormais à travailler 37,5 années (150 trimestres), et non plus 30 années (120 trimestres) pour disposer d’une pension complète. En 1993, les réformes d’Edouard Balladur portent le nombre de trimestres requis à 160 (soit 40 années) pour le régime général. Le nombre d’années retenu pour le calcul des pensions est progressivement porté des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années.
Malgré les résistances victorieuses de 1953 face aux décrets Laniel et de 1995 face au Plan Juppé, les régimes spéciaux et les fonctionnaires sont également affectés par la réforme en marche. En 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, rapproche les droits à la retraite des fonctionnaires de ceux des salariés du régime général. Les grèves et manifestations de novembre 2007 n’empêcheront pas les régimes spéciaux d’être réformés par décret le 16 janvier.
L’âge légal du départ en retraite différé
En 2010, le gouvernement de François Fillon reporte, malgré un mouvement social conséquent, l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite (de 60 à 62 ans) et l’âge maximum de départ à la retraite (de 65 à 67 ans).