Présentation
En pleine crise du coronavirus, le Parlement a voté, le 22 mars dernier, une loi instaurant un « état d’urgence sanitaire ». Cette loi met en place un régime d’exception qui bouscule les règles fondamentales d’un Etat de droit. Vigilance est requise donc ! D’autant plus que cette loi intervient dans une dynamique historique sécuritaire forte, « boostée » par les attentats de 2001. C’est cette dynamique que l’IHS CGT entend éclairer en mettant en exergue un certain nombre d’événements, législatifs pour la plupart, démontrant l’orientation sécuritaire prise en France par les gouvernements successifs depuis la fin des années 1980.
Pour réaliser ce travail, nous nous sommes largement appuyés sur l’ouvrage intitulé L’Etat détricoté co-rédigé par Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky (éditions du détour, 2018), dont nous vous recommandons fortement la lecture.
Chronologie succincte
1986
Les lois dites Pasqua-Debré restreignent les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire national.
1995
Sous l’impulsion de Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 1er janvier introduit le principe d’un droit fondamental à la sécurité.
Série d’attentats en France (juillet-octobre).
1998
Création du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Son champ sera étendu en 2001 puis en 2003. En 2018, on y trouve 2,9 millions de profils génétiques.
2001
Attentats du 11 septembre.
2001
La loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) du 15 novembre, initiée par le ministre socialiste Daniel Vaillant, confirme le principe d’un droit fondamental à la sécurité établi précédemment. Elle entend renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme, mais également contrer certaines « nuisances sociales et incivilités ».
2002
La Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Loppsi) est adoptée le 29 août. Elle concrétise un des axes forts de la campagne de Jacques Chirac. Elle introduit de nouveaux délits et de nouvelles sanctions.
2004
La protection des victimes potentielles devient un impératif majeur. Cela débouche sur la création d’un secrétariat d’Etat aux victimes en 2004 et sur l’introduction, cette même année, dans la loi Perben 2 du droit de l’exécution des peines. Plus tard, en 2007, un décret décide d’instaurer un juge délégué aux victimes
Les dispositifs et mesures destinées à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers se multiplient après l’accession de Nicolas Sarkozy aux fonctions de ministre de l’Intérieur dans les gouvernements Raffarin et Villepin.
Un code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) regroupe les dispositions législatives et réglementaires antérieures relatives au droit des étrangers, en rompant à divers titres avec les ordonnances de 1945, jusqu’alors en vigueur.
2008
Le fichier Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux), relatif au terrorisme, à l’espionnage et à tout ce qui a un rapport avec « l’intérêt de la nation », est créé. Classé « secret-défense », il n’est pas soumis au contrôle de la Cnil. Le fichier Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) est également créé. Il prévoit le fichage « systématique et généralisé, dès l’âge de 13 ans, des délinquants hypothétiques et des militants syndicaux, politiques, associatifs et religieux ». Très controversé, ce fichier sera toutefois retiré en novembre 2008.
2009
Mise en place du fichier intitulé « Prévention des atteintes à la sécurité publique », ayant pour finalité de recueillir et d’analyser « les informations qui concernent les personnes susceptibles d’être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives. »
2010
La loi sur les violences en bande. Désormais, le simple fait d’appartenir à une bande, même formée de façon temporaire, en vue de commettre des violences ou des atteintes aux biens, constitue un délit.
2011
La loi du 10 août 2011 apporte à l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante une nouvelle réforme. Inspirée par les travaux de la commission Varinard constituée à la demande de Rachida Dati et anticipant sur le projet de code de la justice pénale des mineurs, cette réforme est centrée sur la procédure, qu’elle tend à rapprocher encore de celle des majeurs.
2015-2016
Attentats en janvier 2015 (Charlie Hebdo), novembre 2015 (Bataclan et Saint-Denis) et juillet 2016 (Nice).
2015
Le délit d’opinion, relatif à la loi de 1881 sur la presse, se transforme en délit de droit pénal.
L’état d’urgence est décrété le 14 novembre. Il sera prolongé six fois jusqu’à la loi du 11 juillet 2017, soit une durée sans précédent depuis sa création en 1955 lors de la guerre d’Algérie.
François Hollande réunit le Congrès à Versailles le 16 novembre et fait connaître sa volonté de constitutionnaliser l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France. Le projet sera abandonné en 2016.
La loi du 20 novembre 2015 durcit les règles de l’assignation à résidence et des perquisitions.
2016
La loi du 21 juillet ouvre la possibilité de fouiller bagages et véhicules sans instruction du procureur.
En complément de la loi Renseignements de 2015, la loi Antiterroriste du 3 juin dote les forces de police et de renseignement d’un nouvel arsenal de surveillance et les juges et procureurs de nouveaux moyens d’investigation.
Le mouvement contre la loi travail est marqué par des violences policières répétées.
Le numéro de novembre de La Nouvelle Vie ouvrière (NVO) affirme : « La criminalisation du mouvement social et syndical restera l’un des marqueurs du quinquennat de François Hollande […] Elle a accompagné des restrictions des droits des représentants du personnel, un corsetage et un dévoiement du dialogue social ».
2017
L’état d’urgence prend fin le 1er novembre. En dépit des atteintes aux droits qu’il engendre, il est toutefois partiellement transposé dans le droit commun (loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre).
2018-2019
Le mouvement des gilets jaunes est marqué par une répression policière de grande intensité.
2020
En pleine crise du coronavirus, le Parlement vote, le 22 mars, une loi instaurant un « état d’urgence sanitaire ». Des mesures d’exception qui contreviennent aux droits fondamentaux – liberté de déplacement, de réunion, de travail, etc. – sont prises.