La CGT a lancé, depuis la fin de l’année 2015, une grande campagne en faveur de la réduction du temps de travail à trente-deux heures. Réduire le temps de travail est une aspiration ancienne des salariés, et deviendra rapidement une revendication du mouvement ouvrier. Retour rapide sur les grandes lignes de cette histoire.
Aujourd’hui, la durée annuelle du travail se situe autour de 1500 heures, alors qu’elle était d’environ 3000 heures en 1840. Même si ces chiffres sont fragiles et doivent être utilisés avec précaution, il en ressort grosso modo une division par deux de la durée du travail entre 1840 et aujourd’hui. Il y a donc bien un mouvement séculaire de réduction du temps de travail !

Pour autant, ne tombons pas dans l’illusion d’une dynamique unique et continue. L’histoire du temps de travail est marquée par une série d’avancées et de retours en arrière. La loi de 1814 qui interdit le travail le dimanche est par exemple abolie en 1880, puis restaurée en 1906. Dès 1922, de nombreuses dérogations limitent la portée de la loi de 1919 sur les huit heures. Celle de 1936 sur les quarante heures est suspendue par les décrets Reynaud de 1938, puis annulée par Vichy en 1941, pour être finalement restaurée en 1946. Plus récemment, les lois Aubry de 1998-2000 sur les trente-cinq heures sont rapidement atténuées par la loi Fillon de janvier 2003.

Réduire le temps de travail : dans le sens de l’histoire ?
Si la réduction du temps de travail n’a pas été une revendication des seuls syndicats ouvriers – clergé, médecins, hauts-fonctionnaires ont, par exemple, pu jouer à certains moments un rôle non négligeable -, ces derniers ont tout de même tenus une position centrale dans cette histoire. La journée de huit heures sera ainsi la revendication phare du mouvement ouvrier lors de chaque Premier Mai. La mémoire syndicale a ainsi retenu le fameux mot d’ordre affiché sur la façade de la Bourse de travail de Paris : « A partir du 1er mai 1906 nous ne travaillerons que 8 heures par jour ». Il donnait en effet le signal d’une mobilisation générale des ouvriers pour la réduction de la durée journalière du travail. La CGT jouera ainsi un rôle décisif dans l’adoption de la loi sur les huit heures en 1919, ou encore sur les quarante heures en 1936. On soulignera que si quelques patrons ont pu envisager favorablement la réduction du temps de travail, à l’exemple d’Ernest Mercier (un patron de l’électricité), il y a surtout une véritable constance dans l’opposition des organisations patronales (et dans l’argumentaire déployé !) sur ce sujet au cours des deux derniers siècles. En 1919 et après, le patronat se livre ainsi à une véritable « guerre de tranchée » contre les huit heures qu’il considère comme une « hérésie économique » et responsable de la vie chère. Le patronat n’hésite pas non plus à qualifier les quarante heures de « mal absolu ». Une opposition qui perdure jusqu’à aujourd’hui, à l’exemple de Denis Kessler déclarant en 2012 : « Après quinze années d’espérances déçues, il est temps d’abolir les 35 heures ».
Réduisons le temps de travailSi les acteurs furent multiples dans l’histoire de la réduction du temps de travail, les motivations l’ont été tout autant. Elles pouvaient ainsi être d’ordres moral, religieux ou/et sanitaire par exemples, mais aussi d’ordre économique, en lien notamment avec la lutte contre le chômage. Mais l’histoire du temps de travail, c’est surtout celle du temps libre. Dès le 3e congrès confédéral en 1897, la CGT revendique ainsi les huit heures et met en avant la célèbre tripartition « 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs ».

Notons que la durée réelle du travail a toujours été plus élevée que la durée légale. 46 heures en 1956, quarante-sept heures en 1963 (comme en 1931 !). Ce constat doit toutefois être tempéré par l’augmentation en parallèle de la durée des congés payés : trois semaines en 1956, puis quatre en 1969. Ce n’est véritablement qu’après 1968, et surtout avec la crise économique, que l’écart entre la durée effective et la durée légale aura tendance à se réduire. En 1975, la durée hebdomadaire réelle passe à quarante-deux heures. Aujourd’hui, elle est d’environ trente-huit heures.

Au cours du 20e siècle, la question de la durée du travail sera au centre des luttes sociales, sans toutefois pouvoir être extraite des autres luttes importantes (salaire, conditions de travail, etc.). Du fait de l’hétérogénéité du salariat, la réduction du temps de travail a en effet rarement pu constituer, à elle seule, une base unificatrice de mobilisation.

Aujourd’hui, face à ceux qui souhaitent mettre un terme au processus de réduction du temps de travail et à ceux qui entendent même l’inverser, des voix se font entendre, parmi lesquelles celle de la CGT, réclamant la semaine de trente-deux heures ou de quatre jours. La question du temps de travail reste donc au cœur de la bataille idéologique.

Chronologie

1906 Loi instituant la semaine de six jours (avec un jour de repos hebdomadaire).
1919 Loi fixant la journée de travail à huit heures et pour la première fois la semaine à quarante-huit heures.
1936 Lois sur les congés annuels payés (quinze jours) et sur la semaine de quarante heures (suspendue en 1938, annulée par Vichy puis restaurée en 1946).
1982 Ordonnance instaurant la durée du travail à trente-neuf heures et les cinq semaines de congés payés.
1998-2000 Lois Aubry pour la réduction générale de la durée du travail à trente- cinq heures, remises en cause dès janvier 2003 par la loi Fillon.

Pour en savoir plus

Jacques Freyssinet, La réduction de la durée du travail, enjeux de classes, hier et aujourd’hui, IHS CGT, 2005 (disponible auprès de l’IHS CGT) et Jean Magniadas, « Le temps de travail, un enjeu de classes », Cahiers de l’IHS CGT, n°61, mars 1997, pp. 16-18.

Patrick Fridenson, Bénédicte Reynaud, La France et le temps de travail (1814-2004), Odile Jacob, 2004.

L’évolution de la durée de travail de 1841 à nos jours, actes de la conférence débat du 22 novembre 2012, CHATEFP et AEHIT.
Lien web ->

 

Pour citer cet article : David Chaurand, « Réduire le temps de travail : dans le sens de l’histoire ? », éclairage, IHS CGT, 15 septembre 2016.

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