René Mouriaux,
politologue, docteur d’Etat en science politique, membre du Conseil scientifique de l’IHS CGT.
Présentation
Un peu plus d’un an après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, René Mouriaux tente d’apporter, à chaud, une première analyse historique de cette expérience prétendument nouvelle qui présente, selon lui, bien des similitudes avec le « vieux monde ».
L’intervention de René Mouriaux
Pendant la première année du macronisme, les médias ont sans cesse souligné la nouveauté du phénomène. Le terme utilisé est ambivalent. La nouveauté désigne aussi bien la répétition (réédition d’un livre, remise à l’affiche d’une pièce de théâtre ancienne, cru récent d’un vin, le Beaujolais nouveau), la modification (nouvelle version d’un modèle d’automobile), la transformation (la loi Badinter supprimant la peine de mort), enfin l’invention (Athènes, première démocratie).
La première approche historique du macronisme à laquelle nous allons tenter de procéder avec toute la rigueur possible examinera successivement les innovations apparentes du Président Emmanuel Macron, le positionnement original qu’il revendique et les continuités profondes de son action aussi bien par rapport à Nicolas Sarkozy qu’à François Hollande.
I. Deux innovations apparentes du macronisme
À la suite d’un concours de circonstances favorables, Emmanuel Macron a été élu Président de la République en mai 2017 par rejet de Marine Le Pen. Les deux partis de gouvernement ont été piégés par des primaires « ouvertes ». Au lieu de Nicolas Sarkozy, les Républicains ont été représentés par François Fillon qu’une série de révélations a déconsidéré. François Hollande ayant déclaré forfait, le candidat naturel du PS devait être Manuel Valls. Les non-adhérents se sont reportés sur Benoît Hamon.
Le succès d’Emmanuel Macron ne relève cependant pas du hasard. Le conseiller de François Hollande avait méthodiquement préparé sa candidature et saisi l’esprit du temps porteur du « dégagisme », d’une aspiration à du neuf. Comme l’explique de manière pertinente l’historien des droites en France Gilles Richard, « Emmanuel Macron est le fruit de trente ans de domination libérale ». Né en 1926, élu en 1974, « VGE » avait joué la carte de la jeunesse. Fort de ses 39 ans en mai 2017, Emmanuel Macron incarne la rupture avec les caciques de la politique. En même temps, pour reprendre une expression chère au huitième président de la Ve République, la vague électorale qui bénéficie au tout jeune parti La République en marche met en place une autre génération de députés.
Le phénomène a nationalement des précédents, avec le « Sortez les sortants » de Pierre Poujade ou en 1958 avec le retour du général De Gaulle au pouvoir. Emmanuel Macron ne se prive pas d’utiliser les services de François Bayrou, Nicolas Hulot, Bruno Lemaire, de Gérard Collomb et de quelques autres de l’ancien régime.
En second lieu, Emmanuel Macron pratique un nouveau style de communication. Depuis l’avènement de la télévision, les modifications en ce domaine se succèdent. Jean Lecanuet, en empruntant au modèle états-unien, a mis en ballottage Charles De Gaulle. VGE a remplacé la cravate par le col roulé. Sarkozy a dialogué avec un échantillon de Français. Le renouvellement générationnel de 2017 ne s’avère pas total. Tout en comportant des tâtonnements en début de mandat, la « com » macronienne se caractérise par trois traits. Elle se veut strictement contrôlée, aussi bien du point de vue des images que du contenu. Les ministres sont tenus à une grande réserve à l’égard de la presse. En second lieu, elle est très réactive. Une baisse dans les sondages entraîne immédiatement une contre-offensive. Toute difficulté, par exemple le mécontentement des retraités provoqué par la hausse de la CSG, le malaise des élus macroniens devant la loi Asile, donne lieu à un travail de « déminage ». Enfin la communication vise à construire une représentation du Président comme figure internationale, homme de détermination, Jupiter bienveillant et proche des gens, des victimes, des footballeurs, des soldats.
Dans la réalisation de ses « réformes », Emmanuel Macron recourt aux procédés ordinaires de la communication gouvernementale. Tout d’abord, l’ouverture du chantier est confiée à un rapporteur ou à un forum spécifique (les Assises de la maternelle, par exemple). Ensuite, l’élaboration du projet de loi commence. Les consultations nécessaires sont organisées. Le Parlement intervient, soit pour accepter la procédure des ordonnances, soit pour amender à la marge le projet de loi adéquat, conforme aux intentions de départ.
L’opinion est à la fois conditionnée et mobilisée contre les opposants au programme du Président qui oublie avoir été élu par défaut. Le gouvernement assure les commentaires quotidiens. Jupiter parle ponctuellement et recadre l’action périodiquement.
II. Un positionnement qui se dit original
Emmanuel Macron se proclame « et de droite, et de gauche ». Ce positionnement rhétorique pose deux questions. Le huitième Président de la Ve République trace -t-il une voie originale ? Dans la réalité, sa politique assure-t-elle cette alliance quelque peu carpe et lapin ?
Charles De Gaulle, à la Libération, a concilié mesures de gauche et décisions de droite dans une conjoncture exceptionnelle. Sous Pompidou, Jacques Chaban-Delmas a expérimenté avec « la nouvelle société » une combinaison précaire entre pompidolisme et modernisme du Club Jean Moulin. Jacques Delors, son conseiller social, se situait dans la mouvance sociale du moment de la CFDT. Le premier ministre de l’après gaullisme empruntait aussi au réformisme de Michel Crozier.
Valéry Giscard d’Estaing, lui-même, a mis dans son modèle libéral une pincée d’options de gauche, avec l’IVG et l’abaissement de l’âge de la majorité. Quant à François Mitterrand, véritable Janus, il avait une face résistante et une autre vichyste. Emmanuel Macron se réfère seulement au précédent de Michel Rocard qui, sous François Mitterrand, gouvernera avec quelques ministres de droite. Alors qu’il travaillait à l’édition des œuvres de Paul Ricoeur, il envisage d’ailleurs un dialogue avec Ricoeur et Rocard.
Sur le plan théorique, Emmanuel Macron est convaincu que la vie réclame l’entente entre les contraires. Hommes et femmes forment un couple naturel. Il faut conjuguer autorité et liberté, altruisme et individualisme.
Concrètement, Emmanuel Macron parvient à réunir Républicains modérés et sociaux-démocrates badgodesbergiens.
En revanche, les actes de celui qui chérit l’expression « et en même temps » ne comportent guère d’emprunts au corpus de gauche. Macron défend l’écologie mais c’est pour favoriser le « capitalisme vert ». Il se proclame anti-nationaliste, antiraciste. La proximité avec les idéaux de Jaurès ou de Gabriel Péri ne saurait faire illusion. Les options progressistes d’Emmanuel Macron relèvent de l’anti-totalitarisme. Fidèle à la société ouverte de Karl Popper, il se dresse contre ses ennemis.
La politique économique et sociale de Macron tend tout entière à aligner la France sur le consensus de Washington : dérégulation, libre concurrence non faussée. Autrement dit, Macron poursuit « l’entreprise de démolition » des garanties et des acquis sociaux . Dans son message de vœux aux Français prononcé le 31 décembre 2017, Emmanuel Macron salue le travail et annonce un grand projet social. Pour le moment, au début de l’année 2018, le syncrétisme macronien relève de la parole verbale. Dans les faits, son pâté d’alouette ne comporte que du cheval.
Un historien, très attentif au présent et d’esprit modéré, Jean-Noël Jeanneney perçoit bien le problème : « En définitive, Gauche et Droite resurgiront ». À ceci près que la restructuration d’une gauche résolument anticapitaliste s’avère plus difficile que le rétablissement d’une droite de gouvernement. Emmanuel Macron a réussi un semblant de grande coalition à l’allemande grâce au ralliement du MODEM et à l’entente avec les Constructifs de LR et les sociaux-démocrates les plus à droite. Ce melting-pot plaît à une majorité de Français au départ et est approuvé par des politologues comme Roland Cayrol (Vers les raisons de la colère, Paris, Grasset, 2001, 219 p.).
Quant à la pensée du fondateur de la République en marche, elle mêle Ricoeur (la volonté), Amartya Sen (l’égalité), Saint-Simon (l’Europe) et Schumpeter (l’entrepreneur). Le lien est fourni par Hegel auquel Macron a consacré en 1985 son mémoire de DEA. La formule « et en même temps » provient d’une appropriation de la Science de la logique qui ressemble à celle de Victor Cousin, le père de l’éclectisme. Brice Couturier relève à juste titre une certaine acculturation hégélienne chez Macron (Macron, un président philosophe, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2018, 304 p). Au total, souvent brillante, apparemment bien construite, la pensée de Macron relève de la droite centriste et européiste, peu sensible aux dérives du capitalisme financiaro-mondialisé, autoritaire, aliénant et dévastateur.
III. Continuité de la politique macronienne avec celle des alternances précédentes
En dépit de son talent consommé pour présenter le vieux comme du neuf, le président Macron au cours de la première année de son quinquennat a prolongé les tendances antérieures dans les trois grands domaines de son action.
Attentif aux attentes des Français, Emmanuel Macron prend bien soin de se poser en défenseur de la sécurité des citoyens. De ce fait, il s’inscrit pleinement dans la continuité de la politique menée en ce domaine aussi bien par Nicolas Sarkozy que par François Hollande.
L’état d’urgence proclamé après les attentats de Paris est abrogé mais ses principales dispositions sont pérennisées par une loi . Les réfugiés en situation irrégulière sont expulsés et une circulaire du ministère de l’Intérieur autorise leur contrôle dans les centres d’accueil. Une police de la sécurité au quotidien est mise en place. La dénomination de « police de proximité » est écartée pour paraître innovant. Le président réorganise la lutte contre les terroristes au Sahel et il entend centraliser les informations sur les projets d’attentats en France à l’Élysée. La loi Asile durcit le contrôle des immigrés.
En matière économique et sociale, le Président Macron poursuit la politique de libéralisme autoritaire qu’il avait déjà pratiquée sous Hollande (CICE, pacte de stabilité, loi travail). Le budget 2018 comporte de nombreuses coupes. Les APL sont diminuées, les contrats aidés supprimés. Soupçonnés de frauder, les chômeurs sont davantage contrôlés. En janvier 2018, les salariés sont atteints par la diminution des contrats aidés mais cette dernière est compensée par une hausse de la CSG, cette invention de Michel Rocard.
Le président qui a supprimé l’ISF est, en dépit de ses dénégations, perçu comme celui des riches. La dénomination persiste d’autant plus qu’il encense les premiers de cordée, ceux qui réussissent et affecte de mépriser « les gens de rien » . Par ordonnances, il affaiblit considérablement code du travail et transforme la SNCF en entreprise de statut privé ouverte à la concurrence. Après les ordonnances travail, la gestion de la grève à Air France, le management de la Fonction publique et la conduite du conflit cheminots ne laissent place à aucun doute. Seul importe l’intérêt du capital.
Sur le terrain international, avec de minimes variations tactiques ou sectorielles, Emmanuel Macron garde le cap de l’Europe et de l’atlantisme. Le Président se prononce pour une Union protectrice. La relation avec Berlin reste privilégiée. Le renforcement de la zone euro est recherché avec la création d’un ministère de l’économie. Le progrès social est réclamé avec peu d’effets. Un accord est conclu sur les travailleurs détachés. L’encadrement du système est minimal et le secteur des transports, le plus concerné, en est dispensé. Un SMIC européen est annoncé. Il sera fixé par pays.
Le second axe de la diplomatie macronienne concerne l’entente avec les États-Unis. Donald Trump est invité le 14 juillet 2017. Les désaccords existants sur le climat, le nucléaire iranien, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël sont minimisés ou escamotés comme le confirme la visite d’État effectuée à Washington en 2018 par le chef de l’État. Macron suit les pas de Sarkozy et de Hollande. Les entretiens de Saint-Pétersbourg avec Vladimir Poutine en mai 2018 mettent une note gaullienne dans le discours macronien qui demeure cependant attaché à l’alliance privilégiée avec les États-Unis d’Amérique.
Conclusion
Sauf événement d’ampleur imprévisible, la première année du gouvernement Macron laisse présager ce que sera la suite. Après le libéralisme européiste de Valéry Giscard d’Estaing, le social-libéralisme de François Mitterrand, le libéralisme social-chiraquien, le libéralisme de la révolution conservatrice sarkozyste et le social-libéralisme de Hollande, la sixième phase de l’offensive libérale post-gaullisme en France s’écrit sur le mode de la rupture . Macron se veut plus rigoureux que ses prédécesseurs. Il entend aligner la vie économique et sociale de la France sur le modèle de l’Allemagne sans disposer du consensus sociopolitique allemand ni le chercher puisqu’il maltraite la CFDT et l’UNSA. Sur le fond, il ne se distingue que par la radicalité de son entreprise liquidatrice de l’État social.