Conférence présentée par :

René Mouriaux,

politologue, docteur d’Etat en science politique, membre du Conseil scientifique de l’IHS CGT.

Introduction

La question religieuse relève-t-elle de la compétence du syndicalisme d’inspiration laïque ? Pour au moins deux raisons, les organisations professionnelles de masse et de classe sont nécessairement confrontées à l’existence d’un salariat idéologiquement diversifié. Elles doivent accueillir en leur sein ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. Elles sont sollicitées par leurs adhérents de base pour qu’elles appuient sur le lieu de travail la revendication de pouvoir observer les prescriptions rituelles. D’une manière générale, le syndicalisme ne peut ignorer les interventions publiques des différentes Églises ou cultes. De surcroît, fin XXe siècle, début XXIe siècle, un retour régressif du religieux conteste la laïcité française et véhicule racisme, machisme, homophobie. Catholicisme, Judaïsme, Islam sont affectés par des intégrismes agressifs qui menacent la liberté d’expression et la liberté de conscience. Non seulement l’idéologie de la société apaisée est contredite, mais la thèse plus ancienne du lent dépérissement de la religion est mise à mal.
Que désigne le terme de religion ? Une étymologie fallacieuse a longtemps circulé. Religio proviendrait de religare, relier, ainsi que l’affirmaient deux des premiers auteurs chrétiens latins, Tertullien (160–220 ?) et Laetence (mort en 325). Déjà Cicéron avait proposé de manière plus pertinente l’origine du terme dans le gérondif de religare, recueillir, recollecter, relire avec soin (De natura Deorum ), II, 78).
Le singulier recouvre des réalités plurielles. Il est classique de distinguer animisme, polythéismes, monothéismes. Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit proposait le tryptique, religion de la nature, religion de l’écrit, religion manifeste. En raison de la multi-dimensionnalité du phénomène, de multiples classifications s’avèrent possibles.
Le recours aux fonctions permet de surmonter les oppositions entre religions locales et religions universelles, les religions officielles et les religions populaires. La diversité morphologique des institutions de gestion du sacré assure néanmoins trois fonctions principales. En premier lieu, chaque religion propose une compréhension du monde. En second lieu, elle introduit les croyants dans une communauté spécifique. Enfin, elle guide chaque affilié pour qu’il mène une vie droite. Chacune de ses dimensions est menacée par une dérive : dogmatisme, conservatisme, asservissement.
L’ambiguïté des religions, formatrices et pervertissantes inspire notre problématique. Nous nous appliquerons à adopter une démarche critique dialectique. «Tantum religio potuit suadere malorum» , tant la religion peut conseiller de crimes. L’adage de Lucrèce se complète aisément par son contraire : tant la religion peut conseiller de biens.
Notre exposé comportera trois temps. D’abord, nous exposerons le thème de la disparition progressive de la religion dans le monde moderne. Ensuite, nous examinerons les contre-tendances qui s’opposent à ce qui apparaissait une évidence à beaucoup de bons esprits. Enfin, nous tenterons de cerner les facteurs du retour régressif de la religion dans la période contemporaine.

Le recul annoncé de la religion

Dans l’Antiquité gréco-romaine, la religion est profondément enracinée dans la vie de la société. Des athées n’en existent pas moins : Xénophane, Héraclite, Protagoras , et comme nous l’avons déjà évoqué, Lucrèce. Durant le Moyen Âge, la foi chrétienne s’impose comme une évidence et contre Abel Lefranc, Lucien Febvre dans Le problème de la croyance au XVIe siècle (1942) démontre que Rabelais ne pouvait pas ne pas être religieux .
La découverte des Amériques qui dévoile l’existence de « bons sauvages » ignorant l’existence de Jésus, le remplacement du géocentrisme biblique par l’héliocentrisme de Galilée et Copernic entraînent « la crise de la conscience européenne », intensifiée et illustrée par les travaux de Richard Simon. Dans son Histoire critique du Vieux testament (1678), et son Histoire critique du Nouveau Testament (1693), l’oratorien conjugue la philologie et l’analyse textuelle pour mettre au jour l’ampleur des points obscurs, voire contradictoires, et l’étendue des variations des écrits sacrés. On devine, devant pareille audace la fureur de Jacques Benigne Bossuet, le Djanov du catholicisme français de l’époque, selon la formule ironique de Maxime Rodinson.
Les libertins du Grand siècle ouvrent la voie aux Philosophes du XVIIIe qui pour la plupart sont déistes mais opposés à l’autorité de l’Église romaine . Voltaire termine ses lettres par l’abréviation «ecr. l’inf », c’est-à-dire « écrasons l’Infâme », à savoir l’Église catholique.
En Allemagne, l’Aufklarung s’applique à naturaliser la religion. Emmanuel Kant promeut La religion dans les limites de la Raison (1793) . Georg Wilhelm Friedrich Hegel amplifie le propos en transférant les valeurs et concepts de la foi chrétienne dans la pensée profane. C’est la « sécularisation » (Verweltliehung), notion qui connaît un grand succès et des acceptions contrastées.
En énonçant la loi des trois états par lesquels passe l’histoire de l’esprit humain, religieux, métaphysique, positiviste (1830), Auguste Comte contribue de manière décisive à la conviction selon laquelle le phénomène religieux est désormais entré dans une phase de dépérissement définitif. Orpheus. Histoire générale des religions (1909) de Salomon Reinach, qui inspire Totem et tabou de Sigmund Freud, assure sans l’ombre d’une hésitation : « L’histoire de l’humanité est celle d’une laïcisation progressive qui est encore loin d’être accomplie ».
Un pan de la sociologie religieuse s’est constitué pour enrayer la perte de la foi et l’abandon des pratiques cultuelles. Trois facteurs principaux sont mis en avant pour expliquer l’effacement du religieux, les progrès des sciences et techniques, l’élévation du niveau culturel des masses, l’autonomie croissante de l’État et de la société civile.
En simplifiant l’histoire et sa prodigieuse polyphonie, François René de Chateaubriand n’en indique pas moins une tendance perceptible depuis la Renaissance dans son Génie du christianisme (1802) . « Les âges irreligieux conduisent nécessairement aux sciences et les sciences mènent nécessairement aux âges irreligieux ». La Providence, les miracles cessent d’être des principes explicatifs au profit de la connaissance de la nature et de la société. Les progrès des techniques ruinent le recours à la prière. Une formule ironique circulait dans les années 1950 parmi les milieux catholiques : « mieux vaut l’irrigation que les Rogations » .
L’élévation du niveau scolaire contribue aussi au « crépuscule des dieux ». Les Philosophes ont incessamment attaqué les superstitions et le manque d’esprit critique qui assure leur survie. Les vers d’Œdipe (1718) ont contribué au succès de Voltaire : « Les prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple prise. Notre crédulité fit toute leur science ». Pour inculquer à la jeunesse les croyances religieuses, la détention de l’appareil scolaire s’avère un enjeu décisif. Marceau Pivert a consacré un ouvrage très documenté et réfléchi sur l’Église et l’École (1932) qui demeure d’actualité.
Le troisième facteur qui contribue à la sécularisation des sociétés modernes réside dans l’autonomisation de l’État et de la sphère économique. En Europe, le processus a commencé avec la formation des États-nations et l’émergence de la bourgeoisie. Papauté et puissances séculières s’affrontent. Tous les princes ne vont pas à la Canossa. Des formules de compromis se mettent en place comme le Concordat . Karl Marx a décrit avec brio le séisme culturel qu’a provoqué l’avènement de « l’homme aux écus » :
« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Partout où elle est parvenue à établir sa domination, la bourgeoisie a détruit toutes les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens bigarrés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autres liens, entre l’homme et l’homme, que l’intérêt tout nu, le « paiement au comptant » sans sentiment. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la mélancolie petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a dissout la dignité personnelle dans la valeur d’échange et, aux innombrables libertés dûment garanties et si chèrement conquises, elle a substitué l’unique et impitoyable liberté de commerce. En un mot, à l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a substitué une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités considérées jusqu’alors, avec un saint respect, comme vulnérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité touchante qui recouvrait les rapports familiaux et les a réduits à de simples rapports d’argent. »
Longtemps, l’Église a combattu avec intransigeance la mort de la chrétienté et le recul du pouvoir sacerdotal. Pourtant Jacques Maritain a tenté de tirer toutes les conséquences de la modernité : reconnaître « l’autonomie du temporel » et redéployer le spirituel. Agir en chrétien d’un côté, agir en tant que chrétien de l’autre. Ces formules audacieuses n’ont été prises en compte qu’avec Vatican II mais dès 1963, le reflux s’amorce. Seule une minorité de catholiques au début du XXIe siècle est convaincue que la sécularisation de la société est une chance pour leur foi .

Les contre tendances. Retour du religieux régressif.

La thèse de la sécularisation progressive des sociétés modernes est démentie dans les faits de trois façons. De nouvelles religions apparaissent. Face aux crises du libéralisme, le recours au surnaturel revient. Des intégrismes virulents s’affirment par réaction contre l’adaptation des croyances ou leur adaptation au monde moderne. Sur ces trois points, nous ne viserons pas à l’exhaustivité.
La Révolution française se trouve à l’origine du modèle français de laïcité , pour autant qu’on n’oublie pas le culte de l’Être suprême . La première sécularisation de la société française est rapidement enrayée par la restauration du trône et de l’autel. Les premières formes du socialisme n’hésitent pas à se proclamer « nouvelle religion » . Le saint-simonisme, au début du XIXe siècle, se constitue en contre-société à la fois hiérarchisée et rituelle.
Dans sa phase mystique, après la mort de Clotilde de Vaux, Auguste Comte entreprend de transformer le positivisme en religion de l’humanité. Il cherche l’alliance du général des jésuites . Il reste de sa tentative une trace matérielle à Paris, la chapelle dédiée à la religion de l’humanité sise au 5 de la rue Payenne.
Le libéralisme économique est porteur d’une vénération du marché et plus encore de l’argent. Combattant le christianisme « religion d’esclaves », le nazisme est qualifié par Pie XI dans son Encyclique Mit brenender Sorge (1931 de néopaganisme propageant de nouvelles idolâtries. Avec ses symboles, ses croyances martelées, ses rites, l’hitlérisme relève du phénomène religieux et ce n’est pas par hasard que Pierre Aycoberry parle à son sujet d’« opium des foules ».
Nikita Khrouchtchev a popularisé la lexie « culte de la personnalité » pour expliquer le stalinisme. Mais l’ensemble du marxisme a été attaqué comme transposition du christianisme, la classe ouvrière se substituant à Jésus le sauveur. Nous rejoignons ici le second sens de « sécularisation » qui utilise le terme pour désigner, assimiler les philosophies de l’histoire à la pensée judéo-chrétienne.
Enfin, le regain de la religion se manifeste aussi par le succès des sectes pentecôtistes . Il a d’ailleurs contribué en France à l’unité établie entre luthériens et calvinistes par le synode du 11 mai 2013 donnant naissance à l’Église protestante de France (EPDF).
Les troubles de la société moderne, les crises économiques et sociales, politiques morales, idéologiques, le désenchantement provoqué par le règne de l’intérêt, favorisent le recours à la foi.
Nous avons déjà évoqué le choc de la Révolution française qui provoque une reconsidération du credo chrétien, sur une base renouvelée, il est vrai, comme le propose le Génie du christianisme de Chateaubriand. Le printemps de 1848 entraîne en Allemagne une réaction anti-hégélienne et un regain religieux. En France, après l’illusion lyrique des arbres de la liberté, le clergé est convié à favoriser le respect de l’ordre social. Dans son volume De la propriété, Adolphe Thiers conclut en expliquant qu’ »il y a dans la société une partie de mal que les gouvernements doivent s’attacher à réparer et il y en a une autre inhérente à la nature humaine qu’aucune perfection imaginable dans les gouvernements ne saurait épargner aux hommes ». D’où le rôle de la religion. Le Sacré-Cœur est édifié à Montmartre pour effacer les crimes de la Commune et inciter la France à redevenir chrétienne. Vichy reprendra le thème de la repentance et embrigadera l’Église catholique dans la révolution conservatrice travail, famille, patrie.
Le processus de sécularisation qui affecte les sociétés en voie d’industrialisation atteint les religions elles-mêmes qui s’adaptent de facto et parfois procèdent à leur aggiornamento. Pareilles évolutions suscitent des mouvements de réaction. Les intransigeants se dressent contre les libéraux. Le terme d’intégrisme apparaît en 1913 mais le phénomène est assurément plus ancien. Chez les juifs, les pharisiens incarnent un courant hostile à l’altération de la Loi. Face au christianisme, Proclos (412-485) défend la religion romaine et la pensée hellénique. Mais le « modernisme » provoque chez les catholiques la création d’une société secrète, la Sapinière (1909-1921), destinée à lutter contre toute remise en cause de la tradition.
Dans la troisième partie de notre exposé, nous analyserons plus à fond ce processus de radicalisation religieuse idéalisant et figeant le passé. L’immuable vérité de la foi des origines doit être préservée et imposée à celles et ceux qui la refusent.

Spécificité des fondamentalismes contemporains.

« En ce début du XXIe siècle, l’omniprésence des religions transnationales dans la sphère politique ne semble connaître aucune limite ».
Ce constat d’un numéro spécial du Monde Diplomatique de février-mars 2016 pointe une vraie question sans la formuler dans toute sa complexité. Car le
« revival » contemporain à dominante régressive est à la fois mondial, pluricausal et combinant modernité technique et violence parfois extrême.
Aucune région du monde n’est épargnée par le terrorisme islamique, à l’exception de l’Amérique latine. Le retour du religieux sous une forme répressive se perçoit sur tous les continents, soit directement dans des conflits interreligieux ou la montée d’expressions fondamentalistes, soit médiatement par l’intervention du djihadisme. Il suffit de citer pour l’Afrique Noire le Sahara, le Mali, le Nigéria ; pour le Maghreb, l’Algérie, l’Égypte et la Libye. En Asie, citons au moins la Birmanie où les bonzes s’attaquent aux musulmans, les Philippines, la Tchétchénie. En Amérique du Nord, les États-Unis sont affectés par des mouvements fondamentalistes et eschatologiques juifs et protestants . L’Europe qui a connu les conflits d’Irlande du Nord et de la Yougoslavie secrète des vocations djihadistes en raison de discriminations anti-arabes et de la proclamation de supposées « racines chrétiennes » , alors que « païennes » serait l’adjectif le plus exact. Quant à l’Océanie, avec l’Indonésie, elle n’échappe pas aux tensions provoquées par une exacerbation du religieux.
Mouvement planétaire, le retour du religieux au XXIe siècle intrinsèquement lié à une extrême-droitisation de la vie politique concerne la totalité des confessions. Nous avons déjà évoqué le cas du catholicisme, du judaïsme, du protestantisme, de l’islam, du bouddhisme. À cette liste, il convient d’ajouter l’hindouisme dont le courant Hinduva prône un anti-islamisme farouche. La diaspora indienne est touchée par ce fondamentalisme communautariste, notamment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne .
Le processus planétaire de radicalisation religieuse résulte d’une combinaison de facteurs dont nous n’examinerons que les principaux pour les trois grands monothéismes.
Le Moyen-Orient représente l’épicentre le plus important du phénomène avec le conflit israélo-palestinien. Tout d’abord, l’État hébreu entre dans une nouvelle phase de son histoire en 1967 avec la conquête de la Cisjordanie. L’opinion publique se durcit et renforce son intransigeance religieuse. Le refus de tout compromis avec les Palestiniens s’intensifie au point de conduire à l’assassinat d’Isaac Rabin. Le dessein de récupérer tout l’espace « historique » du peuple d’Abraham s’impose comme un droit et Jérusalem a vocation à redevenir la capitale du pays. La revendication du Temple est portée par de multiples rabbins et des groupes comme les Amis du Temple. Le fondamentalisme juif prospère et le retour de tous les juifs en Israël est recherché. L’eschatologie revient escomptant l’arrivée du Messie et la fin du monde .
Ce qui se passe en Israël se produit en relation avec les différentes communautés de la diaspora, au premier chef celle des États-Unis. En France, favorisé par des actes antisémites, un certain communautarisme se développe. Une Ligue de défense juive (LDJ) est fondée après 2000, en liaison avec l’organisation américaine du même nom. Laïque, quoique fortement sioniste, elle a été interdite en juillet 2014. Des centaines de juifs français ont rejoint Israël mais selon un sondage Fondation du judaïsme français – Ipsos de janvier 2016, plus de 70 % des juifs français déclarent vouloir rester dans leur pays. Les 26 % qui envisagent de partir expliquent leur choix principalement par la montée de l’antisémitisme .
Pour analyser correctement la formation de l’Islam radical contemporain, la nécessité s’impose de remonter à l’année 1979. Se produisent simultanément la révolution en Iran, l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS et la prise de la Grande mosquée de la Mecque par un commando d’extrémistes religieux saoudiens. À partir de cette conjoncture, le radicalisme musulman se déploie notamment en Algérie sous l’influence de trois facteurs principaux qui travaillent « une zone dominée et humiliée » .
Tout d’abord, toujours préoccupée par la question du pétrole et par la sécurité d’Israël, la politique étrangère étatsunienne pratique un interventionnisme qui ne se préoccupe pas de ses conséquences. Entre 1979 et 1997, les USA se sont impliqués dans le conflit afghan. Si les soviétiques ont été battus, le pouvoir des talibans s’est conforté et Oussama Ben Laden a fait ses premières armes. Lancée sur de fausses informations, la seconde guerre d’Irak (2003) détruit l’État irakien et les officiers de Saddam Hussein rejoignent la dissidence. L’offensive contre le colonel Kadhafi, lancée par David Cameron et Nicolas Sarkozy en 2011, laisse un pays fragmenté, terrorisé par des milices extrémistes et une quantité d’armes dans la nature. L’absence de réaction à la dégradation de la situation en Syrie laisse libre cours aux djihadistes aidés par Ryad.
En second lieu, la disparition de l’URSS en 1991 supprime paradoxalement une force de régulation dans les relations entre les puissances régionales du Proche et du Moyen-Orient. Désormais les ambitions de l’Arabie Saoudite, de l’Irak, de l’Iran, de la Turquie les mettent aux prises à travers une légitimation religieuse, l’appartenance au sunnisme ou au chiisme.
Enfin, les courants radicaux de l’Islam, comme le salafisme, connaissent une reviviscence, encouragée notamment par l’Arabie Saoudite.
La Guerre Sainte au nom de Mahomet a traversé trois phases : afghane (1979-1997), Al Qaïda (1997-2005), Daech (depuis 2005). L’État islamique s’est établi en Irak, en Syrie, en Libye .
Notamment dans sa version luthérienne autoritaire, le protestantisme n’est pas indemne de toute forme d’intégrisme comme l’a souligné Armin Mohler . Néanmoins, le phénomène touche bien davantage le catholicisme. Dans la période contemporaine, le concile de Vatican II (1962-1965) a fourni l’occasion d’un clivage. Les opposants ont inventé la théorie de la vacance du siège pontifical, le « sédévacantisme ». Pour nous en tenir à la France, les intégristes ont occupé en 1977 l’église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. En 2013, ils ont organisé de puissantes mobilisations contre la loi sur le mariage des homosexuels. La « Manif pour tous » (LMPT) rassemble des catholiques de droite, mais aussi d’extrême-droite. Lorsque le renouveau charismatique s’est produit en 1975 avec les encouragements de la hiérarchie catholique, le Front National s’est rapproché de ceux qu’on a appelés les « tradismatiques ». Ils sont dans la rue pour défendre le mariage traditionnel – qui n’est devenu un sacrement qu’au XIIe siècle. L’indissolubilité remonte au XVIe (Concile de Trente).
La droitisation d’un large secteur de l’Église est favorisée par Jean-Paul II et Benoît XVI. Ce dernier dénonce la « christianophobie » lors de ses vœux aux corps diplomatiques en 2011 .
La défense d’une France chrétienne conserve la fibre anti-Lumières de l’après-Révolution mais acquiert une dimension islamophobe. La construction de mosquées, la présence de femmes voilées, la revendication de la prise en compte de certains interdits à l’école, à l’hôpital, dans l’entreprise , la crainte d’arrivée massive d’immigrés arabes nourrissent le fantasme d’une «islamisation» de la France . Les attentats du 5 janvier et du 13 novembre 2015 accroissent encore le sentiment anti-musulman.
Terminons l’examen des caractéristiques du regain religieux au début du XXIe siècle par la mise en évidence de sa double face. D’un côté, les divers intégrismes utilisent les NTIC avec brio. Leur modernité comporte un grand sens du financement, un maniement habile des ressources médiatiques et de la manipulation psychologique. De l’autre, ils associent des convictions sommaires, brutales à un antidémocratisme profond, au racisme, au culte de l’autorité.

Remarques conclusives

Ignorer le phénomène religieux ne permet pas de bien appréhender les problèmes de la société contemporaine. Le retour des intégrismes ne constitue pas un accident mais une manifestation de crises sociales et politiques. À cet égard, la déclaration de Manuel Vals le 26 novembre 2015 « comprendre le terrorisme, c’est le justifier » représente un non-sens dangereux. Toutefois ne mettre en avant que des causes économiques comme l’avançait Emmanuel Macron relève d’un simplisme également réducteur. La dimension idéologique spécifique des religions ne saurait être oubliée sans dommage. La foi en Yahvé, en Jésus, en Allah, évidemment dans des conditions données, contribue à construire des mentalités, à dicter des comportements, à favoriser des solidarités.
Très tôt en France, le mouvement ouvrier a promu la laïcité, comme l’atteste une contribution au congrès de l’AIT. Dès sa naissance, la CGT affirme son indépendance et le rappelle en 1906 et en 1936, à l’égard des partis politiques mais aussi des philosophies, a fortiori des religions. Cette ligne a-confessionnelle n’empêche pas au début des années 1970 de soutenir la revendication des salles de prière dans les entreprises pour les musulmans . L’option est abandonnée avec la montée du Front national et de l’intégrisme islamique. Après le 11 janvier 2015, la centrale dirigée par Philippe Martinez signe une déclaration commune avec tous les autres syndicats, à l’exception de Force ouvrière. Ce texte, long de 10 pages, engage les militants, les adhérents, les salariés, à se mobiliser en faveur de trois grands objectifs : lutter contre la crise économique et sociale, contre les inégalités, les discriminations, combattre le racisme et le communautarisme portés par l’extrême droite et les fondamentalismes, promouvoir « le projet de société » laïque, pacifique, épanouissante. Si l’Europe syndicale est saluée, les problèmes mondiaux ne sont pas abordés. Dans une déclaration consécutive aux attentats du 13 novembre 2015, le CCN de la CGT des 17 et 18 novembre réaffirme ses grandes valeurs, le progrès social, la démocratie, la liberté, la laïcité, mais elle ajoute la paix et précise « pour toutes les populations ».

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