Présentation

Depuis le courant du mois de mars, un certain nombre d’intellectuels et de politiques ont brandi le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) comme référentiel incontournable pour préparer l’après-pandémie. On a ainsi pu entendre l’Euro-député écologiste Yannick Jadot appeler, le 30 mars dernier, à un « rassemblement le plus large possible de tous ceux qui veulent se mobiliser autour des grandes transformations indispensables de notre modèle ». Quelques jours plus tard, le vice-président des Républicains, Guillaume Peltier, suggérait, quant à lui,  la création par le gouvernement d’un « Conseil national de la reconstruction […] sur le modèle du Conseil national de la Résistance, dans un esprit de concorde nationale ». Le même jour, on pouvait lire aussi une tribune dans le journal Libération écrite par le sociologue Michel Wievorka titrée « Les Jours heureux sont pour demain ». Cette référence au CNR est-elle abusive dans le contexte actuel ? C’est la question que posait Thomas Legrand le 10 avril dans son édito matinal sur France Inter. Cerise sur le gâteau, le chef de l’Etat lui-même, dans son discours prononcé le 13 avril, alors qu’il venait d’évoquer le déconfinement progressif à venir, concluait son intervention par cette phrase qui ne doit rien au hasard : « Nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux.»

Pour aiguiser son œil critique et mieux comprendre ce qui se joue ici, nous avons pensé utile, en premier lieu, de rassembler ici un certain nombre de documents qui permettront d’acquérir, pour ceux qui le souhaitent, une bonne connaissance de l’histoire du CNR. Cette sélection n’est bien entendu pas exhaustive et il manquera notamment, ce que nous regrettons vivement, le numéro spécial de nos Cahiers réalisé sur ce sujet. Nous compléterons dès que possible. En attendant, bonne plongée dans cette histoire passionnante !

A lire, à regarder

Documentaire : « Une histoire du Conseil national de la Résistance »

L’activité du CNR n’a pas pris fin à la Libération. On le savait, mais les volumineuses archives conservées par Louis Saillant, son dernier Président, déposées au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne/CNRS) en apportent les preuves. Conçu en coopération avec d’autres détenteurs de fonds Louis Saillant et le CODHOS, l’ouvrage s’inscrit dans la continuité des précédentes publications destinées à favoriser la connaissance et la valorisation de fonds privés intéressant l’histoire des luttes sociales et politiques. Au terme d’une première exploration, douze spécialistes, archivistes-documentalistes et historiens de la France des années 1940, du travail, du syndicalisme, des faits sociaux et culturels interrogent les pratiques d’archives, dégagent des pistes d’exploitation ultérieures et contribuent à une histoire renouvelée de la Résistance et de la Libération. La question classique des pouvoirs à la Libération est ainsi revisitée à travers l’observation du fonctionnement du CNR, marqué par la longévité d’une « culture de l’accord » et les modalités de construction de compromis et du consensus. Nombre d’acteurs sont tirés de l’ombre ou reconsidérés, à l’exemple des États généraux de la Renaissance française, moment et procédure originale d’expression d’attentes, d’espoirs et de valeurs dans la profondeur d’un pays au seuil de réformes structurelles décisives.

Pour le voir, cliquez ici.

Revue : « Le programme du Conseil national de la Résistance en perspective »

Le n° 24 de la revue Histoire@Politique (2014/3) est consacré à l’histoire du Conseil national de la Résistance et de son programme.

Extrait de l’introduction de l’historienne Claire Andrieu : Étrange destin que celui du programme du Conseil national de la Résistance française. Objet d’un consensus quasi unanime de 1944 à 1946, il est aujourd’hui au cœur du dissensus portant sur les principes de la bonne économie. Dans une certaine mesure, le consensus réformateur social-démocrate de 1945 a été remplacé, en 1989, par le « consensus de Washington » avec ses recommandations de libéralisation, de privatisation et d’ouverture sur l’extérieur. Les crises économiques survenues depuis ont tempéré le discours libéral des années 1980. John Williamson, l’économiste auteur de l’expression « consensus de Washington » est lui-même revenu sur cette analyse en 2003, pour en montrer les limites et le caractère désormais « galvaudé. En France, c’est probablement en 2007 que le programme du CNR a connu sa mise en cause la plus frontale, après les attaques restées confidentielles formulées en 1948 par les héritiers de la Collaboration. Sous le titre « Adieu 1945 ! Raccrochons notre pays au monde ! », un ancien responsable patronal a proposé de « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. La crise bancaire et financière qui a suivi a de nouveau modéré le ton. Depuis 2007, le programme du CNR est même entré comme référence républicaine dans le discours des présidents de la République, de gauche comme de droite […]

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Article de presse : « Il y a 75 ans, le programme du CNR » par Michel Pigenet, historien

Cet article est paru dans le journal l’Humanité du 15-17 mars 2019.

L’adoption, le 15 mars 1944, du programme du CNR traduit les débats au sein de la Résistance et débouche sur la tenue des « états généraux de la Renaissance », puis la prise de pouvoir […]

Pour lire l’article de Michel Pigenet, cliquez ici.

Article de revue : « Le programme du CNR, socle d’une refondation républicaine » par Michel Pigenet, historien, conseil scientifique de l’IHS CGT

Cet article est paru dans la revue Après-demain 2019/4 (N ° 52, NF).

Ci-dessous, l’intégralité de l’article de Michel Pigenet.

Accueilli à l’Hôtel de Ville de Paris, le 25 août 1844, par le Président du Conseil national de la Résistance, Georges Bidault, le général De Gaulle y prononce un discours mémorable, mais refuse de proclamer la République. Elle n’a « jamais cessé d’être, s’agace-t-il. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le Président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? » La rebuffade choque les membres présents du CNR. Entre surprise, prudence et émotion, aucun d’eux ne s’avise d’accomplir l’autre initiative souhaitée par le CNR : la remise solennelle au Général du Programme adopté le 15 mars 1944.

Au vrai, l’opinion tranchée du chef du Gouvernement provisoire relève plus de la stratégie politique que de l’analyse juridique. Le 10 juillet 1940, en effet, une écrasante majorité – 569 contre 80 et 17 abstentions – des parlementaires réunis dans la grande salle de l’opéra de Vichy avait voté le sabordage de la République pour confier « tous les pouvoirs » au maréchal Pétain afin de promulguer « une nouvelle constitution de l’État français ». Si le texte contrevenait à la loi constitutionnelle de 1884 interdisant à l’avance toute remise en cause de « la forme républicaine du gouvernement », la procédure légale de révision constitutionnelle avait été respectée. Ceci noté, les acteurs de l’époque n’ignoraient pas que leur vote fixerait le sort du régime. « Vive la République quand même ! », s’écria en connaissance de cause l’un de ses derniers défenseurs, Vincent Badie, député radical de l’Hérault.

Quatre années dramatiques plus tard, l’aspiration à la liberté se double d’une formidable soif de renouveau. La restauration de la République s’impose en évidence, mais non à l’identique de la précédente, morte d’avoir oublié ses principes. Lors du référendum du 21 octobre 1945, 96 % des 20 millions de votants approuvent l’idée d’une nouvelle constitution.

Au sortir d’un conflit qui fut « total », la dimension politique et idéologique de la mobilisation de centaines de millions de personnes a laissé des traces. Face aux puissances de l’Axe, l’antifascisme fut l’un des ciments de la coalition alliée forgée au nom du droit des peuples, de la démocratie et du progrès social. Ces objectifs figuraient dans la Charte de l’Atlantique d’août 1941, avant d’inspirer celle des Nations unies, en juin 1945. La volonté de changement s’exprime dans le monde entier. Le vieux continent n’est pas reste, sur lequel souffle l’« esprit de 45 ».

Le constat vaut pour la France, que singularise, cependant, l’existence du CNR, « embryon de la représentation nationale réduite », ainsi que le définissent les instructions données à Jean Moulin, son fondateur. Au regard des clivages historiques prolongés jusqu’au lendemain de la défaite, en 1940, il n’allait pas de soi de rassembler des composantes aussi disparates que les « mouvements » forgés dans la Résistance – Combat, Franc-Tireur, Libération Nord et Sud, etc. -, les centrales syndicales CGT, récemment réunifiée, et CFTC, et un arc-en-ciel de partis allant des communistes à la droite la plus conservatrice. Fait notable, à la mesure du traumatisme de l’Occupation qu’aggrave l’effondrement économique d’un pays menacé d’asphyxie, « l’union sacrée » réalisée dans la clandestinité se prolonge au-delà du temps de guerre. Condition de l’effort exigé pour la Reconstruction, elle participe de la vérification du « vivre ensemble » national autour d’un pacte républicain plus attentif que jamais à l’effectivité de ses principes. C’est cela qu’explicite et conforte le Programme du CNR, élaboré dix mois à peine après sa création. Entretemps, pas moins de trois projets ont circulé avant que celui du Front national, avalisé par le PCF et déposé en novembre 1943, ne serve de base à la discussion et débouche, au terme de nombreux amendements, sur un texte acceptable par tous.

La dizaine de feuillets du document comporte deux parties. La première – « plan d’action immédiate » – traite de « l’intensification » de la lutte armée et de la préparation de « l’insurrection nationale ». Sous un intitulé modeste – « mesures à appliquer dès la Libération du territoire » -, la seconde dessine les contours de la République dont rêve la Résistance intérieure. Ainsi se prononce-t-elle en faveur « de la démocratie la plus large » et du rétablissement des libertés fondamentales, individuelles et collectives, dûment énumérées, revendiquant, au passage, celle de manifester et insistant, à propos de la presse, sur sa nécessaire « indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Au chapitre des « réformes indispensables », le Programme lie la restauration de la République à « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale » et à « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières ». À ce titre, le CNR préconise « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ». Il prône « la participation des travailleurs à la direction de l’économie » et leur « droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration ». En cohérence avec cette articulation inédite du politique, de l’économique et du social, le texte dresse une assez longue liste de satisfactions à apporter au monde du travail. Outre un « réajustement important des salaires » et des rémunérations propres à assurer « la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine », il est question de garantir « la sécurité de l’emploi » et d’instituer une retraite « permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». L’une des pièces majeures du Programme renvoie à la réalisation d’un « plan complet de sécurité sociale », qui dotera « tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».

Fruit de compromis, le Programme du CNR ne dit rien du droit de vote des femmes, sacrifié sur l’autel de l’unité à la requête des radicaux, mais qu’établira bientôt l’ordonnance du 21 avril 1944. En l’état, le texte n’est pas moins ambitieux. À défaut d’être celui du GPRF et de son chef, qui évite de s’y référer, il inspire l’Assemblée consultative et les trois grands partis – PCF, SFIO et MRP – qui dominent la scène politique, recueillant les trois quarts des voix aux élections générales d’octobre 1945. À la suite de ces résultats, Louis Saillant, le successeur de Bidault à la tête du CNR, n’en doute pas : son « Programme (…) est au pouvoir ». Dès avant le scrutin, les ordonnances sur les comités d’entreprise et la Sécurité sociale ont amorcé sa mise en œuvre, tandis que la préparation à l’échelon des communes, cantons et départements des « États généraux de la Renaissance française », convoqués du 10 au 14 juillet 1945, a permis de confronter son contenu aux attentes des citoyens invités à rédiger des « cahiers de doléances ».

Dans ce sillage, les réformes de la Libération, votées pour l’essentiel entre octobre 1945 et mai 1946, le plus souvent par plus de 80 % des députés, posent les fondations durables d’un nouveau modèle social républicain. La Constitution d’octobre 1946 en prend acte qui, dans son premier article, qualifie la République de « démocratique et sociale ». Un alinéa de son préambule va jusqu’à stipuler que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». La Constitution de 1958, précisons-le, fera siens tous ces points.

Durable, l’orientation qu’impulsent le CNR et son Programme renoue le fil des dynamiques sociopolitiques initiées par la Révolution française. Au fondement du combat républicain d’hier, elle contribua à la mobilisation populaire, dont dépendait sa victoire et qu’il fallait bien payer en retour, fût-ce de mots. En foi de quoi, dans l’Hexagone, la République désigna, certes, un type de régime, mais porta aussi en elle les promesses émancipatrices de justice sociale et de bonheur. Les luttes des 19e et 20e siècles en témoignent, non sans ambiguïtés, chaque fois mises à nu dès que la République en voie d’institutionnalisation s’assagissait et ralliait à elle ses anciens adversaires en quête d’ordre. Au printemps 1848, c’est autour du mot d’ordre « Vive la République démocratique et sociale ! » que se regroupa l’aile la plus « avancée » du parti républicain. Le scénario se reproduisit après 1870. À nouveau, les « intransigeants », les « radicaux » et autres « rouges » ornèrent leurs vivats d’adjectifs. S’il était toujours question de République démocratique et sociale, le mouvement ouvrier s’affirma par la promotion de la République sociale ou, plus simplement de « la Sociale ».

De ce point de vue, le Programme du CNR réhabilite, en 1944, les « séditieux » et les vaincus d’antan. Il entérine leurs critiques du caractère abstrait des principes de la République, dont il enclenche une redéfinition élargie aux conditions économiques et sociales de leur réalisation. Les ruptures sociopolitiques de 1947 et les rudes clivages de la guerre froide auront raison de l’unité forgée dans la Résistance, elles fermeront la voie à certaines des dynamiques et potentialités de la Libération, mais laisseront intact le socle de sa refondation républicaine.

 

 

 

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