Hegel note quelque part que tous les grands événements surviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : une fois comme tragédie et à la fois d’après comme farce.
Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, 1869

De quoi s’agit-il ?

Le 21 avril 2021, une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier d’autres militaires ont signé un appel pour un « retour de l’honneur et du devoir » au sein de la classe politique dans le journal Valeurs Actuelles.

À la fin de cette lettre ouverte, on peut lire cet avertissement : « si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles […]. On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers ».

Un peu d’histoire

Ainsi, près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, une fraction de l’armée semble encore prête à renouer avec la tentation factieuse. Soucieux de ménager un électorat de plus en plus ouvertement sensible aux thèses de l’extrême droite, le gouvernement tergiverse et relativise la menace. Sans doute a t-il la mémoire courte. Tel n’est pas le cas de la CGT qui dans son histoire, a souvent dû affronter les menées de l’extrême droite. Ce fut particulièrement vrai en avril 1961 quand un « quarteron » de généraux [1] tenta un coup de force pour empêcher la paix en Algérie.

Espérant rééditer le coup du 13 mai 1958 [2], une poignée d’activistes et de militaires félons entrent en rébellion dans la nuit du 21 au 22 avril 1961. Si l’opération réussit facilement à Alger, où les autorités militaires et civiles n’opposèrent qu’une molle résistance, les factieux mesurent rapidement la difficulté de leur tâche.

Si le pronunciamiento peut compter sur la sympathie de nombreux cadres de l’armée de Terre, il est loin de faire l’unanimité. L’Aviation et la Marine affichent leur loyalisme et dans l’active les cadres gaullistes resserrent les rangs autour du Président de la République, Charles de Gaulle. De leur côté, les soldats du contingent, répugnent à soutenir une aventure qui signifie surtout la poursuite de la guerre.

En métropole, dès l’annonce du coup de force, la résistance s’organise, elle retrouve les accents des grandes mobilisations antifascistes d’avant-guerre. Dès le 22 avril, les représentants de la CGT, de la FEN, de l’UNEF et de la CFTC s’accordent sur le principe d’une riposte commune qui prendra la forme d’un appel à un arrêt national de travail le 24 avril.

De nombreux comités antifascistes se reconstituent dans toute la France et dans certaines entreprises (Renault par exemple) la CGT met sur pied des milices ouvrières.

Le 24 avril, plusieurs millions de travailleurs cessent le travail. Meetings et manifestations unitaires se déploient sur tout le territoire pour condamner les putschistes et exiger un règlement rapide du confit algérien.

Cette action « résolue et puissante de la classe ouvrière » balaie les dernières préventions des soldats du contingent qui manifestent ouvertement leur refus d’obéir aux factieux. En France, l’opinion publique manifeste, dans sa très large majorité, le souhait d’un règlement rapide du confit algérien.

Le 25 avril, l’insurrection miliaire s’effondre d’elle-même. Le général Challe annonce sa reddition. De fait, si une large majorité des séditieux rentrent dans le rang, la fraction la plus déterminée des ultras de l’Algérie française rejoint l’Organisation de l’armée secrète (OAS).

Pour la CGT et la gauche en général, l’OAS devient le nouveau visage du fascisme qu’il convient de combattre en priorité. Entre novembre 1961 et février 1962, la centrale ouvrière mobilise activement pour la paix et contre le terrorisme. Le 8 février, la répression aveugle des policiers fait neuf victimes au métro Charonne.

 

[1] Il s’agit des généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller

[2] Le 13 mai, à Alger, une manifestation organisée en hommage à la mémoire de trois jeunes soldats prisonniers exécutés par le FLN tourne à la l’émeute. Menée par Pierre Lagaillarde, un ultra de l’Algérie française, la foule envahit le gouvernement général sans rencontrer de résistance sérieuse. Un Comité de salut public est constitué dont le général Salan prend la tête. En soirée, Benoît Frachon dénonce le « coup de force militaire d’Alger » et la grave menace qu’il fait peser sur la République.

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