Présentation

Comme souvent lors d’élections politiques, la charte d’Amiens est aujourd’hui invoquée pour justifier le devoir de « neutralité » de la CGT. L’IHS CGT apporte ici quelques éléments de réflexion pour mieux comprendre ce texte fondateur du syndicalisme français et propose quelques lectures complémentaires pour ceux et celles qui veulent aller plus loin.

 

L’affirmation d’une identité « syndicaliste »

La question des « rapports de la CGT et des partis politiques » est discutée une nouvelle fois lors du Congrès d’Amiens de 1906. C’est le contexte politique qui oblige cela. En 1905, les socialistes se réunifient et créent la SFIO. En pleine ascension, ces derniers ont des visées hégémoniques et souhaitent subordonner l’action de la CGT à la leur.

Adoptée à l’issue de vifs débats, la charte d’Amiens – nom qui s’impose à partir de 1912 – affirme une nouvelle fois l’indépendance de l’action syndicale à l’égard des partis, de l’État et du patronat.

Ce qui se joue d’abord à Amiens, c’est l’affirmation d’une identité « syndicaliste ». Ancré dans le salariat, adepte de l’action directe et du double objectif de revendications immédiates et d’émancipation intégrale des travailleurs, le syndicalisme s’affirme à cette occasion comme un acteur politique à part entière, disposant de sa propre autonomie.

Si la charte d’Amiens appartient incontestablement au patrimoine syndical français, il est important de souligner qu’elle s’inscrit dans un contexte bien précis dominé par un type de syndicalisme qui a bien évolué depuis.

Dès 1913, la CGT « rectifie son tir » et revisite son rapport au politique et à l’État. En juillet 1913, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, qui admet dorénavant que le syndicalisme « ne peut songer à résoudre tous les problèmes qui s’imposent à l’attention humaine », n’hésite pas à s’afficher aux côtés de Jaurès et de la SFIO contre la loi portant à trois ans le service militaire obligatoire.

En 1914, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la CGT renonce à la menace de grève générale et rallie l’Union sacrée.

En 1936, dans le préambule de ses statuts, la CGT réaffirme son autonomie tout en formalisant les évolutions amorcées à partir de 1913 :

« [La CGT] se réserve le droit de répondre favorablement ou négativement aux appels qui lui seraient adressés par d’autres groupements en vue d’une action déterminée. [La CGT] se réserve également le droit de prendre l’initiative de ces collaborations momentanées, estimant que sa neutralité à l’égard des partis politiques ne saurait impliquer son indifférence à l’égard des dangers qui menaceraient les libertés publiques comme les réformes en vigueur ou à conquérir ».

Si les statuts actuels de la CGT font référence à la charte d’Amiens, ils intègrent aussi ce texte fondateur qu’est le préambule de 1936.

La double besogne

La « double besogne », chère à Emile Pouget, est officialisée avec la charte d’Amiens. On peut lire dans la charte :

« Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale »

La CGT réaffirme ici son caractère révolutionnaire. Elle œuvre à la suppression du capitalisme, ce qui enlève d’ailleurs toute pertinence à l’affirmation de « neutralité » souvent invoquée. « Groupement essentiel », organisme de défense et de conquête, elle agit pour la prise en mains de la société.

La charte acte donc une sorte de « pan-syndicalisme » qui consacre l’autosuffisance du syndicat comme outil de transformation de la société. Le syndicat suffirait à tout.

Une conception qui va bien entendu évoluer au fil du temps. C’est le cas notamment en 1995 lors de la modification des statuts qui indiquent désormais la mention d’une « double volonté » de « défendre les intérêts immédiats » des salariés et de « participer à la transformation de la société ».

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