Depuis 79 ans, les Japonais, comme la communauté internationale, mesurent les souffrances indescriptibles infligées aux victimes des bombes nucléaires larguées par les États-Unis à Hiroshima et Nagasaki en 1945. Depuis son origine (1956), l’organisation japonaise Nihon Hidankyo rassemble les survivants de ces atrocités et dénonce inlassablement l’utilisation à des fins militaires des technologies liées au nucléaire. Pour son action passée et présente, elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2024. La CGT accueillera une délégation de cette organisation le 23 janvier 2025. L’occasion pour nous de rappeler les engagements de la confédération en faveur de la paix et contre l’usage militaire du nucléaire.
En août 1948, devant le durcissement de la « Guerre froide » et la crainte d’une nouvelle utilisation de l’arme atomique, Irène Joliot-Curie participe au premier Congrès mondial des Intellectuels pour la Paix en Pologne, à Wrocław, qui débouchera un an après à la constitution du Conseil mondial de la Paix. Frédéric Joliot-Curie est chargé de la présidence du comité d’organisation du Congrès des Partisans de la Paix à Paris en mars 1949.

Manifestation anti-guerre, Paris, Place de Hôtel de Ville, 13 février 1948, DR IHS CGT
À la suite de l’annonce des recherches sur la bombe thermonucléaire par le président des États-Unis Harry S. Truman en janvier 1950, l’Appel de Stockholm est lancé le 19 mars 1950, lors du Comité du Congrès Mondial des Partisans de la Paix. Il est formulé ainsi : « Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations. Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction. Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre. Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel. »
La diversité des signataires fait mesurer l’ampleur de la protestation. La CGT prend une part active dans cette démarche, engageant ses militants dans les entreprises à la collecte des 15 millions de signatures recueillies en France sur un total de 600 millions dans le monde. Le Mouvement mondial des partisans de la paix incite à la création de comités nationaux. En France, « les Combattants de la Paix et de la Liberté » deviennent en 1951, « le Conseil national français du Mouvement de la Paix », appelé communément « Mouvement de la Paix ». La CGT s’engage à ses côtés dès son origine. Malgré l’investissement de scientifiques, d’artistes et d’intellectuels, la base de cette organisation reste étroite, très liée au PCF et alignée, d’ordinaire, sur les positions de la diplomatie soviétique.
En octobre 1961, une nouvelle crise éclate au « Mouvement de la Paix » à propos des expériences nucléaires soviétiques. Faut-il les condamner au même titre que les essais américains ? Au nom de la CGT, Germaine Quillé s’y oppose, argumentant sur le fait qu’il ne faut confondre les effets et la cause, « la cause est le réarmement allemand ! » écrit-elle. Cette position affaiblit temporairement la voix de la CGT dans sa lutte contre les armes nucléaires.
Mais en mars 1963, la CGT reprend le combat en menant des actions avec la fédération de l’Éclairage contre le détournement de la centrale atomique de Chinon à des fins militaires. Elle œuvre aussi activement pour que la France contribue à la détente internationale et participe à l’établissement de la coexistence pacifique et au désarmement général. En mai 1963, la CGT s’inscrit dans les États généraux du désarmement organisé au Stade de Saint-Ouen par le Mouvement de la Paix. 50 000 personnes exigent la ratification par la France du traité de Moscou de juillet 1962 interdisant les expériences nucléaires. Un Comité temporaire contre la force de frappe et pour le désarmement est mis en place. Il organise une manifestation le 26 avril 1964 à Paris, et la CGT mobilise toutes ses organisations dans cette campagne. En janvier 1967, ce traité est complété par celui sur l’interdiction des essais nucléaires dans l’espace.

Affiche Plus jamais Hiroshima, Mouvement de la Paix
À la charnière des années 1960 et 1970, la paix et les actions en faveur du désarmement nucléaire engrangent des points. Le 1er juillet 1968 est signé à Londres, Moscou et Washington le traité de non-prolifération des armes nucléaires par les cinq états détenteurs de l’arme nucléaire. Mais trois autres pays, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord procèdent à des essais. Selon le renseignement américain, Israël et l’Afrique du Sud auraient fait de même, avec un bémol concernant l’État africain qui a démonté son arsenal. En 1972, deux autres traités d’une durée limitée sont signés par les USA et l’URSS avec pour objectif de limiter le nombre d’armes stratégiques et de réduire le déploiement de systèmes anti-missiles. En août 1975, les accords d’Helsinki sont ratifiés par les USA, l’Union Soviétique et tous les pays européens sauf Andorre et l’Albanie, ils intègrent le respect des droits de l’Homme et les libertés fondamentales.
La CGT s’empare du sujet sur un plan revendicatif, dénonçant le coût de la course aux armements au détriment des besoins sociaux. Ce détournement massif de ressources en grande partie improductives a de graves conséquences. Il contribue à accroître les déséquilibres économiques et alimente la crise du monde occidental.
Au sein de la CGT, la fédération des travailleurs de l’État, avec ses syndicats implantés dans les usines d’armements, propose la reconversion d’une partie de leurs activités pour répondre aux besoins des populations civiles, notamment dans le matériel médical. Le projet porté par ces syndiqués consiste à ne maintenir la production d’armes qu’aux seules fins de défense nationale. De plus, l’engagement international de la CGT permet d’inclure dans ses relations avec les syndicats d’autres pays la question de la paix et du désarmement, en la liant à celle de la solidarité avec les peuples en guerre pour leur libération. Ainsi, en 1978, Jeannine Marest, secrétaire confédérale, fait partie de la délégation invitée par l’ONU au Conseil mondial de la paix. Elle participe à la rencontre des délégations de Grande-Bretagne et du Sénégal (dirigée par Léopold Sédar Senghor), faisant ainsi entendre aux représentants politiques les arguments singuliers portés par les syndicalistes dans l’action pour le désarmement.

Signature Appel des 100 pour la Paix, Sygma Venissieux, 6 juin 1985, Roland Amador/IHS CGT
Lorsque les USA déploient des fusées Pershing aux frontières de l’OTAN, les discussions sont vives dans la CGT et au Mouvement de la Paix. Faut-il aussi dénoncer les nouveaux SS-20 soviétiques ? La raison l’emporte, et l’action se mène sous le mot d’ordre « ni Pershing américaines, ni SS-20 soviétiques ». Pour éclairer sa position, elle s’appuie sur deux principes ainsi énoncés par le 41e Congrès : « La CGT demeure attachée à la suppression de tout armement nucléaire de caractère national, multinational et européen ainsi qu’à toutes armes de destruction massive ; opposée à la course aux armements, elle se prononce et lutte pour un désarmement général, progressif, négocié et contrôlé. »
Au printemps 1982, sous l’impulsion de Georges Séguy, « l’Appel des cent » est lancé. Il réunit des personnalités différentes dans leurs professions comme dans leurs options philosophiques, politiques et religieuses. Cette structure moins lourde que celle du Mouvement de la Paix s’affirme internationaliste et entend faire triompher la paix sous le thème « Négociez à l’Est et à l’Ouest, pour la sécurité des Nations et pour que le désarmement devienne une réalité ». La « Marche pour la Paix » qu’elle organise le 20 juin 1982 rassemble 500 000 personnes. Une délégation de l’Appel des cent est reçue le 15 septembre 1987 au siège l’ONU où elle reçoit le titre de « Messager de la Paix ». Aujourd’hui, alors que la menace nucléaire refait surface dans un contexte de guerre russo-ukrainienne, les mots de Bernard Lacombe, alors secrétaire confédéral de la CGT, résonnent au présent : « être militant de la Paix, ce n’est pas être faible, manquer de courage ou de lucidité, au contraire, c’est oser la Paix. ».
Gilbert Garrel
Président de l’Institut CGT d’histoire sociale et auteur du livre « Agir pour la paix » publié aux éditions de l’Arbre bleu en 2023 (pour en savoir plus).
Cet article est extrait du numéro 171 des Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale (à paraître prochainement).